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de parler de cette entreprise avec une certaine légèreté, c’est que, tout en étant une équipée militaire, on peut croire, d’après ce qui s’est passé jusqu’à présent, qu’elle demeurera bénigne et n’entraînera pas de violence sanguinaire. Le grand mérite du maréchal O’Donnell est d’avoir empêché l’explosion d’une révolte générale par des déplacemens de troupes prompts et opportuns. Des corps étaient-ils suspects, il les a fait venir à temps à Madrid comme les régimens stationnés à Alcala. D’autres corps paraissant plus hostiles et plus dangereux, comme le régiment des Arapiles, il les a fait sortir de Madrid et les a envoyés par les chemins de fer on ne sait où. Il a consigné dans les casernes la garnison de Madrid, et tout ce que cette garnison a gagné jusqu’à présent à l’insurrection, c’est quelques jours de maussades arrêts. Les étrangers qui se trouvent en ce moment dans la métropole espagnole s’apitoient d’un œil, en riant de l’autre, sur ces pauvres soldats qui viennent coller aux vitres de leurs casernes leurs figures ennuyées, tandis qu’aux portes, dans les rues, les officiers supérieurs, les grosses épaulettes, geôliers de leurs hommes, battent la semelle et ont l’air de monter la garde comme des factionnaires. Quant aux exploits des généraux qui se sont mis à la poursuite de Prim, ils sont d’un haut comique. Ces capitaines ont une façon de faire la guerre civile en pantoufles qui restera célèbre. Le général Zabala se laisse arrêter aux environs d’Aranjuez par la destruction d’un pont, et perd des journées en contre-marches lorsqu’il n’aurait à faire traverser paisiblement à quelques centaines d’hommes que le Tage, qui à cet endroit est moins gros que la Marne. Le marquis del Duero, qui s’est trop tôt lassé pour l’amusement du public et qui a eu besoin d’un remplaçant, s’est immortalisé par ces reconnaissances où il a une fois fait saisir un homme qui n’a point dit son nom, et où une autre fois il a entrevu à un demi-quart de lieue, sans doute avec une lunette de courses, une figure de général entouré d’une petite escorte qu’un malin brouillard, ce déguisement des dieux dans les combats d’Homère, lui a soudainement dérobée. Plaisante vicissitude des choses humaines, il y a douze ou quatorze ans, avant la sédition militaire réussie d’O’Donnell, les frères Concha, alors en disgrâce, passaient à Paris pour les fauteurs ardens de l’idée de l’unité ibérienne, et c’est un des Concha qui a voulu marcher contre Prim, accusé lui aussi aujourd’hui de conspirer pour l’unité de l’Ibérie ! Mais nous sommes sûrs qu’en cela le général Prim est calomnié. Le général factieux ne peut point méditer le renversement d’Isabelle II. Il n’est point seulement, de par elle, comte de Reus, marquis de Castillejos, grand d’Espagne de première classe, des liens plus délicats encore peut-être que les honneurs officiels l’attachent à sa souveraine : la reine a consenti à tenir un de ses enfans sur les fonds baptismaux ! Une circonstance curieuse, et qui n’aide point les étrangers à déchiffrer la vraie situation de l’Espagne, c’est que plusieurs jours après la levée de boucliers de Prim, on rencontrait aussi dans une promenade de Madrid Mme la marquise de Castillejos et ses jeunes enfans. La femme du