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de s’avancer à son tour, et tous les compétiteurs sont pressés. Une armée ne peut donc être satisfaite qu’à la condition d’être employée à l’action qui lui est propre et de voir à sa portée les chances qui excitent sa légitime ambition. Nous plaignons les gouvernemens qui, se croyant redevables de leur conservation à un grand établissement militaire, sont obligés de chercher des satisfactions à l’armée ; nous plaignons surtout les peuples qui ont à faire les frais des satisfactions militaires. Voyez l’Espagne ; le pouvoir y était aux mains du général borné, mais honnête, qui avait eu le mérite de terminer la guerre civile, le général Espartero. Après plusieurs séditions militaires malheureuses, une grande insurrection, conduite par Narvaez, Prim, Serrano, parvient à renverser Espartero. Voilà tout à coup pour les chefs de l’insurrection militaire une moisson de grades et d’honneurs, le maréchalat par-ci, les duchés par-là, les grandesses et les riches commandemens. En 1854, c’est une autre récolte, des troupes sont embauchées et soulevées, et c’est une autre fournée de maréchaux, de ducs, de grands d’Espagne et de gouverneurs de Cuba. Le maréchal O’Donnell, le général espagnol qui s’entend peut-être le mieux à maintenir la cohésion de l’armée, comprit qu’il fallait tenir l’organisation militaire en action et en haleine, et que, pour l’empêcher de se renouveler et de se rajeunir par un mouvement au dedans, il fallait lui donner de l’occupation au dehors. De là les expéditions lointaines et les querelles extérieures recherchées par ce maréchal. Il fallait satisfaire l’armée, il fallait l’occuper ; la pauvre Espagne sait ce qu’il lui en a coûté. On est allé au Maroc, on est allé en Cochinchine, on est allé au Mexique, on est allé à Saint-Domingue, on a cherché noise au Pérou et l’on bloque le Chili. Au bout de tout cela, l’Espagne succombe sous le poids des embarras financiers ; le malaise économique du pays produit et aigrit le mécontentement politique. Un vétéran des aventures militaires espagnoles, placé à la tête du parti progressiste, apprend à ce parti à désespérer des moyens légaux d’opposition, à renoncer à l’action civile pour recourir à l’embauchage d’officiers ambitieux et de soldats passifs. On a là en raccourci tous les maux qu’engendre la prépondérance de l’esprit militaire sur le gouvernement politique d’une nation. La leçon est cruelle, et l’on conviendra que plus d’un peuple et plus d’un gouvernement en Europe, quoiqu’ils n’en soient point encore venus à de pareilles extrémités, ont à faire leur profit de cette triste expérience.

L’émotion des affaires d’Espagne nous aura ainsi conduits à l’ouverture de notre session et au réveil de la vie politique en France. Il y aurait de notre part quelque imprudence à émettre des prédictions sur les propositions que le gouvernement présentera aux chambres et sur la direction qui sera donnée aux discussions publiques. Celle des affaires françaises que nous avons à cœur de voir élucider par un échange d’explications complètes et précises entre le gouvernement et l’opposition est l’affaire du Mexique. Cette affaire se présente à nous comme l’intérêt public le plus grand et le plus pressant. Il est temps qu’elle sorte du vague et de l’incer-