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ronne déshonorée et la puissance affaiblie seraient laissées à François Ier et à sa race.


III

Au moment où ces sinistres propositions furent adressées à Charles-Quint, qui savait que son tiède allié avait été sur le point de lui être infidèle, Charles-Quint avait déjà pris son parti. Deux avis contraires avaient été exprimés et soutenus dans ses conseils. De ses conseillers, les uns pensaient qu’il devait poursuivre ses avantages par les armes et accabler à tout jamais son ennemi vaincu[1]. Les autres, à la tête desquels était le chancelier Mercurino de Gattinara, son principal et son plus habile ministre, le dissuadaient de rechercher par la continuation de la guerre ce qu’il se procurerait aisément par un traité de paix. Gattinara assurait que les avantages territoriaux et politiques auxquels l’empereur pouvait prétendre seraient l’inévitable résultat de la victoire de Pavie, le prix forcé de la délivrance du roi. Fixant les conditions de la paix avec non moins de rigueur que de précision, Gattinara avait engagé d’avance l’empereur à repousser l’entreprise que le roi d’Angleterre proposerait contre la France en répondant « qu’il ne trouverait pas de son honneur de faire la guerre à quelqu’un qui, devenu son prisonnier, ne saurait désormais se défendre, et duquel il pourroit obtenir satisfaction sans recourir à la force des armes[2]. » Gattinara ne ménageait pas François Ier, mais il détournait Charles-Quint de rendre Henri VIII plus puissant et de l’élever plus haut. « Henri, disait-il, qui s’appelle roi de France et qui prétend avoir des droits à ce royaume, pourroit devenir un jour nuisible aux Pays-Bas et à l’Espagne, tandis que, si la paix est conservée avec la France sous les conditions mentionnées, la France sera mise tellement bas qu’elle n’aura plus les moyens de nuire. »

Charles-Quint adopta de tout point l’avis de son chancelier. Il projeta de traiter avec le monarque captif en le soumettant aux plus durs sacrifices. Il fit partir pour l’Italie Beaurain avec ses propositions de paix, et tandis qu’il y montrait les exigences les plus énormes, il y affectait la plus généreuse modération. « Afin de ne pas être, disait-il, ingrat envers Dieu, qui a fait tomber le roi de

  1. « Plusieurs sollicitaient suyvir la victoire et destruire le roy de France de telle sorte qu’il ne faisit guerre de sa vie. » Archives des Affaires étrangères de France, correspondance d’Espagne, vol. V, f. 273. — Charles-Quint, dans une lettre à Ferdinand citée par M. Gachard, p. 12 de sa Captivité de François Ier, dit que plusieurs de ses ministres étaient pour la continuation de la guerre et une invasion.
  2. Mémoire du chancelier Mercurino de Gattinara, dans Geschichte der Regierung Ferdinand des Ersten, par F. B. von Bucholtz, t. II, p. 287 et sqq.