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eux-mêmes, le droit d’élire leurs magistrats, la garantie formelle qu’ils seraient à toujours exempts du service militaire. Elle proposa, si on l’exigeait, de former une garde nationale plutôt que de courir la chance de fournir des recrues à l’armée russe. Dès que ces propositions furent formulées par les délégués tchèques et présentées comme une sorte d’ultimatum, les Russes, sans insister, les renvoyèrent immédiatement, rejetant de telles prétentions sur l’esprit républicain et anarchiste, qui, selon eux, avait infecté ces braves gens pendant leur séjour en Amérique. L’idée de renforcer la colonisation de l’Amour de milliers d’émigrans laborieux et agriculteurs par excellence fut donc abandonnée dès qu’on entrevit comme condition la nécessité de faire la part d’un certain esprit d’indépendance et de liberté qui aurait fini sans doute par gagner le reste d’une population accoutumée à obéir sans raisonner. De leur côté, les Tchèques ne s’y sont plus laissé tromper ; non-seulement ils ont refusé d’émigrer en masse, mais ils ont profité de la leçon ; leurs sentimens ont naturellement changé à l’égard du gouvernement russe, et bientôt après ils n’étaient pas les moins chauds, les moins prodigues de protestations dans les manifestations qui avaient lieu aux États-Unis en faveur de la Pologne à l’époque de la dernière insurrection.

Autre fait significatif. S’il est un personnage ayant rendu d’immenses services à la Russie, c’est certes le général Mouraviev, qui a reçu le nom de Mouraviev-Amourski, et qui n’a rien de commun avec le proconsul de Wilna, dont il n’est pas même parent. C’est le général Mouraviev qui est le véritable conquérant du pays de l’Amour. C’était d’ailleurs un homme assez supérieur, assez intelligent pour vouloir introduire dans la nouvelle colonie des institutions qui auraient eu sans doute des résultats bienfaisans. Porté d’un autre côté à poursuivre les malversations et les dilapidations continuellement pratiquées par les fonctionnaires russes au détriment même de l’état, il adressa un jour à Pétersbourg un rapport dans lequel, s’appuyant sur des faits et des chiffres, il démontrait l’absurdité du système adopté pour le transportées métaux précieux de la Sibérie à la métropole, et l’économie qui serait réalisée si on battait monnaie sur place. Il serait difficile de préciser des chiffres. On assure que, dans ce transport de métaux ayant à passer par les mains d’employés de toute sorte, il y a une déperdition de quelque chose comme 17 pour 100. Le général Mouraviev citait et examinait en détail les mesures adoptées dans une situation analogue par le gouvernement américain en Californie, par le gouvernement anglais dans la Nouvelle-Hollande. Ce rapport fit à Pétersbourg l’effet le plus étrange et provoqua contre l’auteur