Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/736

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On peut dire, il est vrai, que le droit de 50 centimes par quintal métrique équivaut au droit fixe perçu en Angleterre ; mais encore une fois nous n’avons pas les mêmes raisons que les Anglais pour accorder une faveur aux blés étrangers. Les Anglais ont à remplir un déficit annuel et régulier ; sans une introduction continue, la famine régnerait chez eux en permanence, et les prix du blé indigène monteraient à des taux intolérables. C’est d’ailleurs ici le lieu de rappeler que ce droit de 50 centimes, réellement perçu en Angleterre, ne l’est pas en France, ce qui constitue le second grief dont l’agriculture nous paraît en droit de réclamer le redressement.

On comprend que, pour faciliter en France la mouture des blés étrangers pour la réexportation, on admette en franchise de droits les blés réexportés à l’état de farines ; mais il ne faut pas que cette latitude dégénère en abus. Or l’abus est maintenant évident ; ce qui devait être l’exception est devenu la règle. En permettant de compenser les blés qui entrent à Marseille avec les farines qui sortent à Dunkerque, on a supprimé dans la pratique la perception du droit, et par conséquent violé la loi même de 1861. Les blés qui entrent à Marseille passent presque tous dans la consommation française, et les farines qui sortent par les ports du nord sont fabriquées avec des blés français. La réexportation est donc ici une fiction, puisque ce ne sont pas les mêmes blés qui entrent d’un côté et qui sortent de l’autre. Si l’on ne veut plus du droit établi par la loi de 1861, qu’on change la loi, car les lois ne sont pas faites pour être éludées. On aurait à la rigueur le droit de demander que toute espèce de compensation fût interdite, car la loi ne distingue pas ; il n’est pas nécessaire d’aller jusque-là : la faculté d’introduire des blés en franchise en les réexportant peut être conservée, mais à la condition que l’importation et l’exportation aient lieu par le même port ou tout au moins par la même côte.

Si l’exécution de la loi devait porter quelque atteinte à notre exportation de farines, il serait bon d’y regarder à deux fois ; mais on peut affirmer qu’il ne sortira pas un quintal de farine de moins : une exemption de 50 cent, par quintal métrique de blé à partager entre l’importateur et l’exportateur ne peut pas être une grande affaire. Quand même le droit serait porté à 1 franc 25 cent., les prix à l’intérieur n’en recevraient pas une assez forte impulsion pour restreindre l’exportation. L’exemption actuelle du droit agit comme une prime à la sortie des farines, et les primes à l’exportation ne sont pas moins contraires aux principes de l’économie politique que les droits protecteurs contre l’importation. Ce qui prouve, à n’en pas douter, l’inutilité de la prime, c’est qu’une partie seulement des farines qui sortent jouit de cette faveur ; il n’entre pas assez de blé étranger pour compenser toutes les farines exportées.