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Ce n’est plus, comme dans les Pays-Bas, un duel âpre et implacable entre deux races, entre le fanatisme enflammé de l’Espagne et la patiente, solide et héroïque ténacité hollandaise ; tout se passe entre hommes du midi. Au fond, le drame est le même, et dans cette lutte engagée en plein XVIe siècle il passe comme un éclair de nos luttes modernes. L’attaque est savamment organisée, la résistance est toute populaire ; elle vient de la masse, de la petite noblesse, des moines, du peuple, non des grands seigneurs, qui se livrent au maître étranger. C’est ce drame qui n’a plus rien d’inconnu, qui prend une précision saisissante depuis que la diplomatie de Philippe II a été mise à nu dans ses minutieuses et tortueuses correspondances avec ses ambassadeurs à Lisbonne, depuis qu’il a pu voir cette pensée à l’œuvre, épiant et enveloppant sa proie ; c’est ce drame que M. Rebello da Silva raconte dans son Histoire du Portugal au XVIIe et au XVIIIe siècle. Député, journaliste, professeur, M. Rebello da Silva est de cette vaillante école historique qui s’est levée en Portugal, comme partout, pour fouiller le passé, qui compte au premier rang M. Herculano, le Thierry portugais, et qui n’a d’autre malheur que d’être presque inconnue. Son histoire est un de ces livres où l’esprit politique, l’esprit national se fait le complice d’une science ingénieuse et sûre. C’est le gouvernement lui-même, il y a quelques années, qui avait tracé ce programme d’étude historique, et entre toutes les périodes des annales portugaises il avait choisi la plus triste parce qu’elle est aussi la plus instructive, parce qu’elle n’est point de celles qui peuvent affadir le patriotisme.

Le Portugal d’ailleurs peut évoquer aujourd’hui sans amertume ces souvenirs de défaite et d’abaissement. Il a retrouvé par la liberté la sève qui rajeunit les petites et les grandes nationalités. S’il n’a pas dans les mêlées contemporaines l’éclat qu’il dut autrefois à son esprit d’entreprise, il n’en est pas non plus à se sentir toujours menacé par l’Espagne ou à mettre sa fortune en gage entre les mains de l’Angleterre pour s’assurer une protection intéressée. il est plus près du temps où l’unité ibérique aurait pu s’accomplir par lui que du temps où elle s’est accomplie contre lui, et cette époque, dont le premier mot est l’invasion du duc d’Albe, dont le dernier mot est la revendication de 1640, cette époque ingrate, obscure, humiliée, contient après tout ce problème dont ne s’effraient jamais les esprits virils, qui leur sert plutôt d’aiguillon : comment se perd et comment se relève l’indépendance d’un peuple.


I

Je ne sais s’il est une histoire plus belle et moins connue, plus romanesque et plus rapidement obscurcie que cette histoire portugaise