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murailles. — Ralliement au cimetière fut le mot d’ordre. Vers trois heures et demie, on avait pu réunir quatre-vingts fantassins. Les cavaliers grimpèrent à pied, traînant leurs montures par la bride. On forma deux colonnes serrées. L’artillerie redoubla ses ravages, et la contre-guérilla se lança à l’assaut en faisant un suprême effort. Le cri de « vive la France » fut poussé par bien des poitrines ; pour plusieurs, c’était l’adieu à la patrie. On s’empare des maisons au pas de course ; portes et défenseurs tombent sous les coups de crosse. L’officier Sudrie, à la tête de la charge, veut franchir la palissade ; il enlève son cheval, qui s’éventre en retombant sur les baïonnettes, et lui-même roule à terre l’épaule baignée de sang. Fièrement campé à la brèche de la palissade, un officier mexicain (volontaire des États-Unis) barre le passage : un revolver à chaque main, il fait feu sur les assaillans et arrête les fuyards de sa propre troupe ; mais le passage devient libre. La mêlée s’engage, les vestes rouges se ruent au galop jusqu’au pied de l’autel, où la boucherie commence. Dans une chapelle latérale, dans toutes les attitudes de la mort, on voit couchée une file de cadavres abattus par le même projectile. Les contre-guérillas, exaspérés de leurs pertes et des insultes grossières des Mexicains, ne font pas de prisonniers. La poursuite se continue dans toutes les directions. Au coucher du soleil, lorsque la cavalerie fut ralliée, on fit l’appel. Les pertes des partisans français étaient sérieuses : sur deux cent quatre-vingt-cinq combattans, onze tués et trente-deux blessés, sans compter les contusionnés. Parmi dix officiers présens, six étaient grièvement atteints. Le baptême de sang de la nouvelle contre-guérilla avait été glorieux.

Après le combat, on ramassa un seul prisonnier ; il avait deux trous à la poitrine. C’était don Adolfo de la Garza, aide-de-camp de Carbajal ; il avoua la mort de quinze officiers juaristes dont il donna les noms. Il désigna parmi les morts les cadavres de trois capitaines américains et d’un commandant mexicain, ancien déserteur français. A l’entrée du cimetière était étendu le cheval de bataille de Carbajal : sa seconde monture était au pouvoir du colonel Du Pin. A la selle, on trouva suspendu un long poignard dont le manche en acier portait cette devise en espagnol : « Carbajal. Libre ou mourir. » La mitraille avait fait dans sa troupe de grands ravages ; Près de deux cents fusils, cinquante-six rifles américains sortant récemment de fabrique, le drapeau du 1er bataillon du Tamaulipas percé d’une balle, le guidon de Carbajal déchiré par un éclat d’obus et cinq balles, l’étendard de sa cavalerie, la caisse contenant 796 piastres (près de 4,000 francs), tels furent les trophées conquis par deux cent-quatre-vingt-cinq contre-guérillas, vainqueurs de mille deux cents Mexicains retranchés. San-Antonio regorgeait