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de démenti puéril durant le cours du drame. Mais l’accent profond de l’honnêteté, où est-il ? mais le cri du repentir, le vrai cri de l’âme, quand l’entendez-vous ? Chez cette femme écrasée sous le poids de sa faute, la douleur et la honte du supplice supporté pendant sept années parlent seules. Quelle sécheresse ! quelle dureté ! Et cette morale d’airain, ce serait toute la morale ! Au fond, il ne s’agit pas ici de nos devoirs, il s’agit des nécessités du mariage et des retours vengeurs de la loi sociale. De tels exemples peuvent rendre plus sages et plus prudens ceux qui les reçoivent, ils ne les convertissent point. L’impression morale dans le Supplice d’une femme est mesquine autant que l’émotion dramatique y est forte. J’ai peur, si je pense à Indiana et à Valentine après Mathilde, de trouver plus de vertu dans les sacrilèges défis jetés par les héroïnes de Mme Sand au mariage que dans la soumission où la femme de M. Dumont se décide à rentrer, de guerre lasse, uniquement pour se soustraire aux fascinations assommantes de M. Alvarez. Et j’ai peur aussi pour cette cause que la leçon soit perdue, même comme simple, leçon de sagesse. Quelle femme déjà entraînée par la passion ne pourra se dire avec quelque apparence de raison qu’après tout elle a rencontré mieux qu’Alvarez et qu’elle vaut mieux que Mme Dumont ?

Indiana ! Valentine ! Lélia ! quels noms venons-nous de prononcer ! et quels souvenirs avons-nous évoqués ! Chose singulière et bien digne de fixer l’attention du philosophe qui observe les vicissitudes de nos sentimens et de nos idées ! ce qui nous perdait, il y a trente années, c’était l’excès de passions généreuses qui ne voulaient point subir le frein vulgaire de la loi ; c’étaient les rêves d’une poésie splendide qui ne voulait point s’emprisonner dans les devoirs terre-à-terre de la vie domestique ; c’était une soif insatiable de l’idéal qui nous soufflait la révolte contre toutes les réalités de la vie ; c’était un besoin d’être sublime que rien ne satisfaisait, si ce n’est l’orgueil qu’on éprouvait à fouler aux pieds, au nom de quelque sentiment supérieur, les obligations les plus sacrées qu’imposent le monde, la société et la famille. On mettait alors la vertu tout entière dans les beaux sentimens dégagés des préceptes positifs : pourvu qu’on eût conscience d’admirer ce qui était grand et héroïque, sans trop se soucier de pratiquer ce qui était bien, on se trouvait toujours assez honnête, et l’on ne s’apercevait point que les plus profonds précipices sont voisins des cimes les plus ardues. Ces grands désordres d’imagination ont fait place peu à peu à un goût implacable de l’ordre. L’idée nette et claire qu’il faut observer l’ordre, parce que l’ordre se venge tôt ou tard de ceux qui le violent, est la plus haute conception de la vertu où puissent atteindre