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grammaire, dont elles ne faisaient plus partie. La directrice intercéda pour qu’au moins la porte de son école leur restât ouverte, les enfans baissèrent les yeux d’un air triste. — Comme tout cela ressemble peu à nos écoles, toujours menacées de la férule ou de la verge, et où retentit toujours soit la voix aigre du maître en colère, soit le tumulte des écoliers indisciplinés ! Encore une fois, c’est l’école publique et gratuite qui fait les peuples libres, ou, si elle ne les fait pas, elle est du moins le signe et la mesure de leur liberté.

Jamais cette vérité ne s’est montrée à moi si évidente. Il y a des gens à qui une certaine noirceur d’idées naturelle ou systématique fait envisager le progrès comme un leurre, la science comme une déception, et qui se moquent volontiers de cette panacée universelle. Ils pensent qu’il faut mesurer les connaissances des hommes et les réduire autant qu’on peut au strict nécessaire. Un ouvrier, disent-ils, ne doit pas savoir tout ce que sait un riche, un laboureur n’a pas besoin de grande science pour retourner son fumier : un peu de lecture, un peu de calcul, et juste assez d’écriture pour signer son nom, en voilà bien assez pour son usage. Plus d’instruction serait dangereux : — dangereux à la vérité, — pourquoi ne pas le dire ? — pour ceux qui veulent l’enchaîner dans son humble et misérable sphère ; — dangereux pour la poignée d’hommes qui veulent, au nom de leur droit de parvenus, lui interdire de s’élever au-delà du cercle inflexible qu’ils lui tracent ; dangereux enfin, puisqu’elle le ferait sortir de sa classe, et que les lisières d’une société paternelle ne pourraient plus l’enchaîner sous prétexte de soutenir sa faiblesse ! — Ne comprendrons-nous jamais en France les nécessités de la démocratie ? Nous avons inauguré dans le monde un régime qui ne s’est vu nulle part, et que l’Amérique elle-même ignore, — le suffrage universel sans limites, le droit absolu apporté en naissant par toute créature humaine de contribuer par son vote et pour une part souvent chimérique au gouvernement de son pays. Nous avons fait une question de théorie pure de ce qui partout ailleurs est une question d’expérience, d’utilité et de progrès social ; nous avons préféré cette abstraction stérile à la liberté de fait, qui seule peut la rendre féconde. Nous demandons enfin au suffrage universel jusqu’à des constitutions et jusqu’à des couronnes, — et nous en sommes encore à nous demander si nous apprendrons à lire à tous les citoyens français !


8 février.

Je rentre du bal, et je pars dans une heure pour New-York. Hier soir, quand je me suis acheminé vers le dîner qui m’attendait chez M. Field, j’avais la ferme intention de partir cette nuit même ;