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un terrible adversaire, elle avait donné un chef à cette résistance nationale et légale, embarrassante pour le vieux roi, plus inquiétante encore pour les agens espagnols qui se croyaient près d’enlever le vote des cortès avec la complicité du cardinal lui-même et de triompher sans combat.

Entre le parti de l’indépendance et les prétendans portugais, l’alliance semblait naturelle, si naturelle qu’on crut d’abord à une agitation artificielle organisée par le prieur de Crato. Elle était cependant toute spontanée et instinctive ; elle sortait du sein du peuple. Elle pouvait, elle devait servir le prince dom Antonio, qui se hâta d’en profiter ; elle n’avait pas été créée par lui. L’opposition se tenait sur le terrain de la défense déterminée de l’autonomie portugaise sans prendre un nom pour drapeau ; elle disait au cardinal : « Ne nous livrez pas à un prince étranger, donnez-nous un prince portugais ou laissez le peuple élire son souverain. » C’était en un mot le droit national se relevant et s’affirmant en face de l’étranger. L’ordre populaire envoya au roi députations sur députations, le roi envoya aux états admonestations sur admonestations, messages sur messages. L’irritation ne faisait que grandir. À la fin, le cardinal, qui sentait déjà la vie lui échapper, voulut tenter un dernier effort ; il fit venir devant lui les députés des cinq principales villes, Lisbonne, Porto, Evora, Coimbre et Santarem, Phebus Moniz à leur tête, pour leur signifier de cesser toute résistance. Dom Henri était mourant et n’avait plus qu’une animation fébrile ; le chef de la députation des villes était tranquillement résolu, et un singulier dialogue s’engagea aussitôt. À l’ordre donné impatiemment par le roi, Phebus Moniz répondit « qu’il n’était pas possible de délibérer quand on voyait son altesse ne prenant conseil que de gens suspects et ennemis de la liberté du pays. — Moi seul, je fais justice, dit le cardinal dissimulant son irritation, et ceux qui vous assurent le contraire vous trompent. Je veux que vous vous décidiez, et promptement. — Ce que votre altesse exige, répliqua l’orateur populaire, touche à la conscience et à l’âme, et de celles-ci Dieu seul dispose. Jamais nous n’accepterons qu’un roi portugais. — Quel moyen avez-vous pour résister à l’Espagne ? ajouta dom Henri avec amertume. — Celui qu’eurent nos prédécesseurs au temps du roi Jean Ier, reprit froidement Phebus Moniz. — Que voulez-vous enfin ? — Que votre altesse écoute le peuple, et si elle a le droit de choisir, qu’elle choisisse un roi portugais, parce que jamais roi castillan ne sera reçu ni obéi. » Le cardinal ne put contenir sa colère, il renvoya brusquement les députés en leur renouvelant l’ordre de se soumettre ; les députés des villes se retirèrent pour aller voter qu’à eux seuls appartenait le droit de faire un roi.

Les uns et les autres se trompaient. Les députés des villes n’étaient