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Le chancelier Gattinara fut d’une opinion contraire. Il détourna l’empereur de délivrer François Ier avant d’avoir reçu le duché de Bourgogne, affirmant que s’il n’en exigeait pas la restitution immédiate, il ne l’obtiendrait jamais ; que le roi de France devenu libre ne lui rendrait point ce qu’il avait refusé de lui donner pour le devenir ; qu’il ne tiendrait pas plus l’engagement qu’il prenait aujourd’hui qu’il n’avait tenu les promesses qu’il avait faites précédemment ; qu’il voudrait se soustraire à la contrainte qu’il prétendrait lui avoir été imposée, se relever de sa défaite et venger les déplaisirs de sa captivité ; que la guerre recommencerait et que tout serait remis en question ; que ses fils donnés en otage de sa parole seraient laissés en captivité, sans profit pour l’empereur et sans détriment pour le roi, tandis que, le roi restant prisonnier, à moins qu’il ne restituât la Bourgogne et qu’il n’accomplît d’avance toutes les conditions de l’accord, l’empereur n’avait rien à craindre de personne, et pouvait s’arranger avec l’Italie, qui, se trouvant sans appui, se soumettrait sans difficulté[1]. Il dit résolument qu’il fallait rendre le roi libre sans lui imposer de conditions ou le retenir toujours prisonnier[2]. Il dissuada donc l’empereur de conclure un traité qu’il refusait d’ailleurs de dresser en qualité de chancelier, parce qu’il le regardait comme devant compromettre et peut-être faire perdre entièrement les fruits de la dernière victoire.

Charles-Quint ne suivit pas cette fois les conseils de son grand-chancelier, qu’une animosité extrême pouvait conduire à une défiance excessive. Il ne crut pas devoir rejeter les avantages d’une paix à laquelle son prisonnier semblait se résigner sincèrement, puisqu’il avait mis si longtemps et eu tant de peine à s’y résoudre. D’ailleurs un refus de sa part ne l’eût pas placé dans une position meilleure. La trêve était sur le point d’expirer, la guerre, en recommençant, rendrait incertain tout ce qui était assuré par le traité. L’empereur n’avait plus l’appui de ceux qui l’avaient jusque-là soutenu ou la neutralité de ceux qui l’avaient laissé vaincre. Le roi d’Angleterre, sans se déclarer encore son ennemi, était devenu l’allié de François Ier. Les potentats italiens qui avaient été précédemment ses confédérés ourdissaient contre lui des trames dangereuses. Il connaissait les projets d’union des Vénitiens, des Florentins, du pape, du duc de Milan avec la France[3]. Ce que Pescara

  1. Sandoval, liv. XIV, § 2. — Della vita e delle opere di Andrea Navagero, p. 183.
  2. « El chanciller dixo resueltamente que o le soltasse libremente, o le tuviesse simple preso y seguro. » Sandoval, liv. XIV, § 2.
  3. Il avait reçu les informations les plus complètes sur la conspiration italienne, et déjà vers la fin d’août Charles-Quint, parlant à l’ambassadeur vénitien Navagero du dataire Giberto, qui en était l’âme, disait avec emportement que Giammaleo Giberto était vittaco e traditore ; p. 179, della Vita e delle opere di Andrea Navagero. Navagero s’étonne de cet emportement : « Sendo cesare tanto moderato in ogni sua azione c massime nel parlare. » Dépêche du 23 août, ibid, p. 246, note 75.