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Telle fut la fin de ce personnage, qui avait occupé si longtemps l’imagination de ses contemporains. A l’époque où il faisait merveille à la cour de France, le charlatan chez lui dominait l’homme d’esprit et méritait peu les regards. Le moment où il disparaît de la scène du monde est celui où il est le plus digne d’attention et même d’une certaine estime. Savez-vous comment Mirabeau résume la fin de sa vie ? « Il s’attacha, dit-il, au prince Charles de Hesse et oublia, comme ses prédécesseurs, de ne pas mourir. » Pas un mot de plus ; le mystificateur est relégué chez un petit prince allemand crédule et débonnaire ; l’obscurité d’où il n’aurait pas dû sortir recouvre à jamais ses derniers jours ; laissons-le mourir dans l’ombre ; voilà ce que signifient les paroles de Mirabeau. Eh bien ! c’est précisément à cette heure d’abandon et d’oubli qu’il me paraît le plus intéressant comme phénomène psychologique. Le masque tombe, un homme reste, un homme qui semble vouloir racheter ses fourberies, qui est charitable, humain, et dont la conscience même, si longtemps engourdie par l’habitude du mensonge, se réveille à la pensée d’une vie future. On hésite pourtant, et c’est la punition de l’imposteur, on hésite à croire ces novissima verba, on craint encore d’être mystifié, on se demande si la dernière parole du mourant n’est pas une comédie dernière, on résume enfin ses impressions par ces mots qui ne s’appliquent pas seulement au XVIIIe siècle et au comte de Saint-Germain : Il y a des temps où l’effronterie est dans l’air, il y a des hommes qui ont besoin de frapper les esprits, d’étonner l’opinion, de changer sans cesse de costume, de faire dire à tout propos : Qui est-il ? d’où vient-il ? Vraies natures d’histrions, méchans poseurs d’énigmes ! N’est-ce donc pas une dernière énigme qu’il jette à son hôte lorsqu’il s’écrie avant de mourir : « Ah ! mon cher prince, que je serais malheureux si je parlais ! » A tout prendre, et malgré la curiosité qu’inspirent les révélations du landgrave, le personnage le plus intéressant ici, c’est le prince lui-même, le prince humain et simple que sa cordialité livre si naïvement aux chercheurs de trésors et aux confréries mystérieuses.


II

« Au printemps de l’année 1774, je fus reçu maçon dans la loge de Slesvig, alors assez peu nombreuse. Ce pas a eu sur le reste de ma vie une plus grande influence qu’on ne saurait le croire, en partie par les liaisons intimes que je fis dans cette société, en partie par les connaissances que j’y acquis. » C’est en ces termes que le prince Charles ouvre le récit de ses rapports avec les francs-maçons et les illuminés. On ne retrouvera plus dans ce récit le