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sous prétexte qu’en fait de guerre et de sacrifices d’argent Elisabeth était toujours prête à promettre et reculait toujours quand il fallait tenir. Il se défiait de l’Angleterre, il redoutait d’attirer sur lui quelque redoutable vengeance de l’Espagne ; il craignait la ligue, il craignait les huguenots, et, perdu d’incertitudes, il évitait surtout de s’engager. Vainement Saint-Goard le pressait d’agir, d’envoyer tout au moins des ingénieurs et douze capitaines expérimentés comme le demandaient les Portugais : Henri III ne répondait pas plus aux confidences de son ambassadeur qu’aux propositions d’Elisabeth.

Faute d’une alliance dont la pensée naissait d’elle-même et qui eût probablement arrêté l’Espagne, la France et l’Angleterre se détournaient d’une politique qui ne devait pas être facile à réaliser, il est vrai, puisqu’elle est encore la généreuse chimère des esprits libéraux ; elles se bornaient à une hostilité toute diplomatique contre les plans espagnols et à une sympathie inerte pour le petit royaume en péril, faisant tout ce qu’il fallait pour exciter les Portugais et rien pour les soutenir, se prêtant à toutes les négociations, promenant leur intérêt et leur faveur du duc de Bragance, leur premier candidat, au prieur de Crato, ne décourageant aucune espérance, mais n’envoyant ni un soldat ni un vaisseau. Philippe II, dont la froide sagacité n’était pas facile à tromper, n’avait pas tardé à démêler ce jeu ; il avait vu que la France et l’Angleterre s’agitaient beaucoup, qu’elles craignaient l’annexion du Portugal, qu’elles protesteraient peut-être, mais qu’elles ne feraient rien, et c’est là au fond ce qui décida l’invasion. L’armée espagnole était déjà entrée en Portugal que dom Antonio ne désespérait pas encore, et promettait toujours à ses partisans l’intervention étrangère. Au dernier moment, le prieur de Crato fit une suprême tentative ; il s’adressa à la France et à l’Angleterre. Il offrait à Henri III une alliance intime et des compensations pour les droits problématiques de Catherine de Médicis. L’indécis Henri III, qui n’avait rien fait jusque-là, n’était pas homme à prendre une résolution quand le moment était presque passé ; il se montra violemment irrité de l’acte de force de Philippe II et ne répondît pas au nouveau roi portugais, le laissant à lui-même et à ses illusions. La reine Elisabeth, quoique pressée par quelques-uns de ses conseillers, ne se laissa pas plus entraîner. Elle avait toujours la haine de l’ambition espagnole, elle désirait le succès de dom Antonio et du Portugal ; mais elle n’était pas femme à sortir légèrement de la neutralité où les refus de la France l’avaient rejetée : elle gardait ses soldats pour une meilleure occasion, et elle faisait des économies, ce qui faisait dire à un de ses agens les plus intimes qu’il priait Dieu « que de semblables économies fussent aussi utiles à l’Angleterre que la reine l’imaginait. » Le dernier appel de dom Antonio eut le sort qu’ont