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par huit pièces de canon qui enfilaient le gué du fleuve. La ville dominait à pic le cours du rio d’une soixantaine de mètres. Cette position était admirable pour la défensive ; si notre troupe eût abordé de front le passage de la rivière, elle eût été écrasée sous le feu des pièces, n’eussent-elles été servies que par une poignée de soldats, à qui il était facile de s’enfuir sans pouvoir être atteints à cause de la raideur de la rampe. Garbajal d’ailleurs avait visité San-Fernando deux jours auparavant, et après mûr examen du terrain et de ses défenseurs il avait renoncé pour sa part et conseillé de renoncer à toute tentative contre les colorados, dont il redoutait l’élan. Aussi Palacios, se sentant tourné, avait-il pris peur et s’était-il enfui, laissant entre nos mains deux canons de six rayés, un obusier de seize, une pièce de campagne de douze et une magnifique coulevrine en bronze. Cette longue bouche à feu d’origine étrangère méritait les honneurs de la prise. Baptisée il Phevo, fondue à Manille en 1780 par Bernardo-Antonio Guerrero, ornée des armes de Charles III, roi des Espagnes et des Indes, elle était décorée de la Toison d’or et remarquable par le fini de ses gravures bien conservées. Singuliers retours que ceux de la guerre ! bizarre fortune que celle de cette coulevrine, qui d’abord dit adieu aux mers de Chine pour aller tonner au golfe du Mexique, puis, enlevée aux Espagnols par les Mexicains, tombe entre les mains des guérillas et d’une contre-guérilla française ! À cette heure, ce bronze plein de souvenirs, fatigué de son demi-tour du monde, repose silencieux dans un musée de Paris.

Le lendemain de notre entrée à San-Fernando, nous étions rejoints par le reste de la contre-guérilla et la troupe de Perald, qui avaient franchi difficilement le Rio-Tigre. La population, étonnée de voir l’uniforme français, nous lançait des regards sombres. Trois autres canons de bronze avaient été cachés dans les bois. Après un speech un peu accentué du colonel Du Pin, les notables crurent sage de les retrouver. Ils avaient pourtant espéré les sauver du désastre, dans l’attente d’un retour de Cortina après le départ de los invasores. A l’extrémité de la ville s’élevait une haute maison voûtée, solidement bâtie et sans fenêtre apparente. Une seule porte y donnait accès ; on y pénétra de force. Au fond d’une petite pièce vide on apercevait encore les plinthes d’une porte fraîchement murée. Le socle mal déguisé était noir de poudre écrasée. On fit crouler les pierres, et lorsque les yeux furent habitués à l’obscurité, on découvrit une vaste poudrière. Quatre mille boulets et obus chargés, des projectiles à grille du modèle américain, pareils à ceux que nous recevions sous les murs de Puebla, quatre cents tonneaux de poudre évalués à douze mille kilogrammes, cartouches et capsules d’infanterie, s’y trouvaient accumulés. C’était le