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il n’indique qu’une moyenne, il ne donne pas une idée exacte de l’ignorance où sommeille une grande partie de la France. Une carte statistique publiée récemment par M. Manier, sous les auspices du ministère de l’instruction publique, permet de mieux apprécier tout ce que la situation a de déplorable. Sur cette carte, les départemens sont teintés de couleurs différentes d’après le nombre de conscrits illettrés qu’ils ont eus de 1857 à 1861. Le blanc indique ceux où il ne s’en est trouvé que 5 sur 100 ne sachant ni lire ni écrire, et le noir, à l’autre extrémité de la gamme des tons, ceux où il y en avait 66, c’est-à-dire les deux tiers. Or on n’en rencontre que 4 dans la première catégorie : le Doubs, le Bas-Rhin, la Meuse et la Haute-Marne, tandis que 25 se trouvent relégués dans la dernière classe, qui comprend toute la Bretagne, tout le centre de la France et plusieurs départemens du midi[1]. Comme un orateur l’a très bien dit dans une discussion récente au sein de la chambre des députés, cette carte de l’instruction populaire en France ressemble à un ciel noir et sombre dont quelques rares percées de lumière font ressortir l’opacité. Dans certains départemens, l’ignorance des femmes est presque aussi générale que dans le royaume de Naples ou en Espagne. Ainsi dans l’Ariège 14 sur 100 seulement ont pu signer leur contrat de mariage ; dans les Pyrénées-Orientales, 17 ; dans la Haute-Vienne, 19 ; en Bretagne, de 22 à 24.

Est-il possible qu’on tolère plus longtemps une situation aussi triste, aussi humiliante dans un pays de suffrage universel où chacun, homme et femme, devrait au moins savoir lire et écrire ? Il est effrayant de penser que les destinées d’un pays comme la France et par suite celles de l’Europe entière dépendent du vote d’une foule incapable de s’éclairer par elle-même et de discerner son véritable intérêt. Il ne faut donc point s’étonner qu’en présence de ces faits le ministre de l’instruction publique ait proposé pour guérir ce mal invétéré, l’ignorance populaire, l’adoption d’un remède énergique, l’obligation imposée à tous les parens d’envoyer leurs enfans à l’école. Il suffit de constater les principaux résultats obtenus en Allemagne pour montrer combien ce remède est efficace, et, quoi qu’on en dise, d’application facile.

Dans l’Allemagne protestante, comme en Écosse, en Norvège, aux États-Unis, l’école primaire est née de la réforme, parce qu’elle était la condition de son succès. La réforme met entre les mains de tous un livre, la Bible, et elle commande de le lire. Elle fait appel

  1. Cette carte est destinée aux bibliothèques scolaires ; mais elle devrait être envoyée à toutes les administrations communales des départemens en retard, afin que, voyant leur infériorité dénoncée en couleurs humiliantes, elles s’efforcent enfin de s’en relever.