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plus de la moitié de la population est encore complètement illettrée. Le symptôme le plus regrettable, c’est que dans ces dernières années le progrès de l’instruction a été nul : il y a même un mouvement de recul. Ainsi, de 1857 à 1860, en trois ans, le nombre des enfans fréquentant l’école n’a pas même augmenté de 1 pour 100, tandis que la population s’est accrue de 3 pour 100. Dans quatre provinces, le chiffre des élèves a même décru. Les inspecteurs attribuent ce fait inattendu à deux causes principales : l’augmentation de la rétribution scolaire et le développement de l’industrie, qui arrache les enfans à l’école pour les assujettir à ses rudes travaux.

On ne peut cependant pas accuser les pouvoirs publics d’indifférence à l’endroit de l’instruction du peuple. Ils sont loin, très loin sans doute, d’avoir fait tout ce qu’ils devaient, et pour juger de leurs efforts il faut oublier les sacrifices que s’imposent les États-Unis ou même le pauvre Canada ; mais en comparaison de ce qu’ont exécuté la plupart des autres états européens, on peut dire que la Belgique, depuis qu’elle est gouvernée par les représentans des idées libérales, n’a point négligé l’instruction populaire. En 1843, la dépense pour cet objet s’élevait au chiffre total de 2,631,639 fr. ; en 1860, elle a été de 6,783,349 francs. Ainsi, en moins de vingt ans, elle a presque triplé. Elle va maintenant à 1 fr. 43 c. par tête, ce qui fait environ moitié plus qu’en France. Le minimum légal de l’ensemble des allocations perçues par l’instituteur est fixé à 700 fr., et en fait la moyenne monte à 843 francs. Les institutrices touchent 825 francs. La construction de bâtimens d’école convenables est de la plus haute importance pour les progrès de renseignement ; en Belgique, le gouvernement l’a bien compris, et il a affecté à trois reprises différentes un subside d’un million pour venir en aide aux communes. Celles-ci, assurées du concours de l’état et de la province, se sont mises à l’œuvre, et de tous côtés on construit des écoles nouvelles. De 1858 à 1860, on en a bâti plus de trois cents, qui ont exigé une dépense de 4,555,138 fr., soit 1 million et demi par an. Les 2,538 communes belges possédaient en 1860 2,465 locaux d’école, dont 1,613 réunissaient les conditions voulues. Quelques villes, sous l’influence d’administrateurs intelligens et libéraux, ont été bien au-delà de ce qu’exigeait la loi. Ainsi Gand[1], avec

  1. Lors de la réunion du congrès des sciences sociales en 1863, le bourgmestre de Gand, M. de Kerckove, eut l’heureuse idée de faire défiler devant ses hôtes les élèves des écoles communales. Comme la mère des Gracques, la vieille cité d’Artevelde était fière de montrer aux étrangers ce qu’elle avait de plus précieux, ses 10,000 enfans : cérémonie touchante qui était en même temps un dernier hommage rendu à un citoyen éminent, M. Callier, qui avait consacré toutes les forces d’un cœur dévoué et d’une