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sous ce rapport que l’Allemagne du nord, et elle le doit aux mêmes dispositions légales et aux mêmes influencés.

Quand on vante l’enseignement obligatoire, on répond souvent que cette mesure tyrannique peut convenir à l’Allemagne, façonnée dès longtemps à subir tous les despotismes, mais qu’elle serait intolérable pour la France, habituée à jouir de la liberté. La Suisse est-elle donc un pays où la liberté est inconnue et où l’état impose au peuple des décrets despotiques ? Non, la Suisse est le pays de la décentralisation et de la commune indépendante ; tous les pouvoirs émanent directement du vote des citoyens ; le suffrage universel fait et défait à son gré toutes les autorités. Or l’état est sorti de son abstention habituelle pour imposer aux parens l’accomplissement de leur premier, de leur plus sacré devoir, ou plutôt c’est le peuple lui-même qui s’est imposé cette salutaire contrainte, commandée par le droit naturel et par son plus évident intérêt.

Le tableau qu’on vient de tracer d’après des renseignemens qui embrassent une assez grande partie de l’Europe occidentale prouve suffisamment, semble-t-il, la vérité de cette affirmation de M. Cousin, que l’instruction n’est généralement répandue que dans les pays où existe l’obligation scolaire. En Allemagne, en Suisse, l’ignorance est bannie, non pas seulement parce que les parens sont tenus d’instruire leurs enfans, mais parce que la proclamation du principe agit puissamment sur les pouvoirs publics, sur l’opinion, sur les habitudes, et produit ainsi un courant qui porte naturellement les générations nouvelles dans les écoles, qu’on est désormais tenu de créer en nombre suffisant. En France, en Belgique, malgré de bonnes lois et de sérieux efforts, la moitié de la population manque des connaissances élémentaires indispensables au citoyen des sociétés modernes. Il est donc urgent d’adopter la mesure qui a donné ailleurs d’aussi bons résultats.

Reste à voir maintenant quelle sera en France la sanction la plus efficace. Le projet de loi de M. Carnot de 1848 contient d’assez bonnes dispositions. D’après l’article 26 de ce projet, tout père dont les enfans ne fréquentent pas l’école est tenu de les présenter à la commission d’examen scolaire, afin que celle-ci puisse constater s’ils reçoivent l’instruction chez eux. Les parens et les tuteurs qui négligent d’accomplir leur devoir sont soumis d’abord à la réprimande et ensuite à l’amende, mais point à la prison. Ces pénalités seraient insuffisantes parce qu’elles n’atteindraient pas les indigens, qui sont précisément ceux qu’il faut contraindre. Il en est deux autres accessoires, mais qui seraient d’un effet bien plus sûr : d’abord exclure les parens de la participation aux secours publics et employer les sommes ainsi devenues disponibles à nourrir les