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nommé Ramdan, de grande espérance. Ramdan était docile à son père et lui donnait déjà un appui dévoué quand une querelle soudaine les vient diviser : Gassem s’éprend d’une femme qu’il épouse en répudiant la mère de Ramdan, et le fils furieux court à Alger promettre sa soumission aux Turcs en échange d’un renfort qui, joint à ses propres adhérens, l’aiderait à combattre et à détrôner son père. Suivi bientôt d’un corps de troupes ottomanes, Ramdan s’avance sur trois colonnes contre le massif guechtoulien ; la colonne la plus hardie, celle qui prend le chemin des crêtes, c’est lui qui la mène, et il campe victorieusement sur un plateau qui domine tout le pays et qui garda depuis le nom de Mahallet-Ramdan.

Ce nom pour nous aussi est tout un souvenir. Oui, voilà plus de neuf ans déjà, c’était le 16 septembre 1856, en pleine guerre avec les Guechtoulas. Par une crête rocheuse et mamelonnée, le général Yusuf venait de conduire sa division au pied de Mahallet-Ramdan ; des masses kabyles étaient là-haut, braquant leurs fusils à travers des créneaux de pierre sèche ; la pente apparaissait raide comme un mur, on devait être tout à découvert et sans défense possible pour la gravir ; qu’importe ? en avant ! — Et il nous semble voir encore un officier de vingt ans, le lieutenant d’état-major Chanoine, s’élançant à cheval, gravissant le premier comme une cible vivante, arrivant sur le faîte dix pas avant les zouaves qui l’acclament et le saluent pour un brave. Nous étions jeune officier nous-même, débutant par la campagne de 1856 dans la vie militaire active. L’exemple du lieutenant Chanoine fut le premier à nous remuer le cœur, le premier à faire parler en nous cette voix qui dit : « J’en voudrais faire autant ! » Pour un moment pareil, qui n’aimerait à garder toujours une pensée reconnaissante ?

Entre Cheik-Gassem et son fils, la lutte fut vive et longue ; mais le branle était donné au pouvoir souverain du grand chef, les Kabyles venaient de respirer à nouveau le souffle de liberté démocratique qui leur plaît. Forcé enfin de fuir et d’abandonner Memedjdja, sa capitale, Gassem veut au moins se venger de ceux qui la pilleront. Toutes ses richesses restent étalées dans une salle minée d’avance ; dès que l’ennemi y pénètre et se rue au pillage, un serviteur du cheik se dévoue pour mettre le feu aux poudres ; les débris de la forteresse volent au loin avec les corps mutilés de ses vainqueurs, et un petit nombre de Turcs échappés au désastre est trop heureux de rejoindre Alger en toute hâte. C’en était fait cependant de l’héritage de Ramdan aussi bien que de l’autorité de son père ; les Kabyles avaient repris goût à leur vie de division, et un maître, fût-il Kabyle comme eux, ils n’en voulaient plus.

Vers le même temps, deux révolutions successives changeaient