Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la propriété avec tous les privilèges qu’elle peut conférer a toujours été ouvert indistinctement à tous ; il ne paraît pas qu’il y ait jamais eu de terre anglaise noble qu’un vilain ne fût pas capable d’acquérir, de droits que la terre ait conférés qui fussent déniés au manant devenu assez riche pour l’acheter. Il n’en pourrait pas d’ailleurs être autrement dans un pays où les préjugés de race et de sang n’ont pas été transformés en institutions sociales, et où la noblesse proprement dite a toujours été trop peu nombreuse pour constituer une caste investie d’un pouvoir oppressif, car d’abord elle est accessible à toutes les illustrations, et ensuite elle a la vertu de se purger de la descendance des illustrations qui ne continuent pas la gloire ou les services de leurs pères, si bien que les petits-fils cadets du plus noble duc rentrent dans la classe commune quand ils n’ont pas de titres personnels à faire valoir.

La propriété anglaise n’est pas constituée de façon à blesser ceux qui ne possèdent pas. Aussi, quoique la liberté de discussion s’étende chez nos voisins à tous les sujets, il en est bien peu qui soient plus rarement agités que les majorats et les substitutions. D’ailleurs ces mots, qui trop souvent ne provoquent en d’autres pays que des idées de restriction, de privilèges exclusifs ou offensans, n’excitent pas les mêmes sentimens de l’autre côté de la Manche. La propriété a ses majorats, c’est un fait, mais qui n’empêche pas que beaucoup de gens et beaucoup d’intérêts ne soient associés à la propriété substituée. On a vu déjà que bien souvent elle est chargée d’hypothèques au profit de familles de sœurs ou de frères cadets ; je ne sais à quels chiffres ces hypothèques peuvent s’élever, mais elles contribuent pour une part sérieuse à faire que la propriété anglaise est probablement la plus grevée de l’Europe. De même les majorats n’empêchent pas qu’en vertu de contrats dont l’usage n’est répandu qu’en Angleterre une multitude de familles ne soient intéressées à la propriété, même à la propriété substituée. Rien n’est plus fréquent que de voir une famille s’établir sur une parcelle de terrain dont le fonds continue à dépendre d’un majorat et y bâtir une maison dont la jouissance, libre de toute charge vis-à-vis du propriétaire du fonds, lui appartiendra pendant quatre-vingt-dix-neuf ans, pour faire ensuite retour pur et simple au majorat. Un siècle de jouissance ! n’est-ce pas à bien peu de chose près l’équivalent de la propriété ? Comptons-nous maintenant en France beaucoup de familles dont la possession remonte à une date aussi lointaine ? Et cependant cela se pratique en Angleterre depuis un temps presque immémorial. Une partie très considérable de cette immense ville de Londres, où vit presque un dixième de la population totale du royaume-uni, a été construite dans ce système, qui, avec le