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priser trop haut les avantages qui en découlent : la vie de milliers de marins en dépend ; mais ces travaux ont aussi un intérêt commercial dont il ne faut pas négliger de tenir compte. De ce que les sinistres maritimes sont rendus plus rares grâce à la portée lointaine des phares, de ce que les avaries au moment de l’atterrage deviennent moins fréquentes et moins graves par l’observation judicieuse des bouées, des balises, des amers et des signaux nautiques, il résulte que le taux des assurances maritimes est moindre et que le prix du fret est moins élevé. Veut-on juger des progrès obtenus sous ce rapport, et par exemple de la sécurité donnée à la navigation nocturne ? Il était impossible, il y a quelques années, d’entrer en rade de Brest pendant la nuit. Aujourd’hui deux petits phares, l’un sur la pointe de Portzic, l’autre sur celle du Petit-Minou, indiquent au navigateur l’alignement à prendre pour passer entre les écueils qui limitent le chenal. « On peut affirmer, disait l’illustre hydrographe Beautemps-Beaupré lorsqu’il fut question d’élever les deux tours qui portent ces feux, on peut affirmer que les moindres avaries que pourrait éprouver un bâtiment de l’état forcé par le mauvais temps à chercher un refuge de nuit dans la rade de Brest occasionneraient plus de dépenses que n’en demande la construction de ces phares. » Des considérations de même ordre justifient les dépenses importantes qui ont été faites afin d’éclairer les abords de tous nos grands ports. Une catastrophe déplorable dont les côtes d’Algérie ont été récemment le théâtre démontre avec plus d’évidence que ne le ferait un long raisonnement combien de richesses et de vies d’hommes l’éclairage maritime peut sauver de la perdition. Le bateau à vapeur le Borysthène se dirigeait en ligne droite vers Oran, dont le phare de Mers-el-Kebir devait lui signaler les approches. Entraîné vers l’ouest, sans en avoir conscience, par des courans sous-marins, il s’est misérablement englouti sur les écueils de l’île Plane, dont aucun feu ne révélait la présence. On peut le répéter encore, si rare que soit un tel événement, que sont en comparaison d’une si grande perte les dépenses de construction et d’entretien d’un phare ?

Les sommes que chaque nation consacre à l’illumination de ses côtes sont en rapport avec le développement de son commerce maritime. En France, la question fut longtemps négligée, et ce n’est que sous la restauration qu’on lui accorda une attention sérieuse. Les belles découvertes de Fresnel dotèrent l’administration française de moyens d’action d’une efficacité surprenante. À ce moment, les travaux hydrographiques de Beautemps-Beaupré firent mieux connaître les dangers de tout genre dont notre littoral est parsemé. L’amiral de Rossel développa alors dans un mémoire remarquable