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feuilles périodiques, la suppression après trois avertissemens ne peut être prononcée que par le sénat, qui est la cour supérieure de justice de l’empire. Enfin les journaux sont maîtres de choisir entre la censure préventive, qui les dégage de toute responsabilité vis-à-vis de l’administration, et la liberté, — toujours bien entendu sous le bénéfice de la « dualité des juridictions, » comme on disait récemment en France ; la plupart ont opté naturellement pour cette liberté relative et intermittente, qui est encore quelque chose surtout comparativement au temps où l’on ne pouvait même faire la plus timide allusion aux sévérités de la censure.

Ce ne sont pas du reste les journaux qui ont manqué en Russie depuis le commencement du règne actuel avec ou sans la censure. Ils se sont multipliés et ont pris une importance toute nouvelle. Quelques-uns, déjà anciens, sont la propriété d’une institution qui les afferme et ont des privilèges d’annonces qui aident à leur succès matériel. La Gazette de Moscou appartient à l’université de cette ville, la Gazette russe de Saint-Pétersbourg à l’académie des sciences, l’Invalide russe au ministère de la guerre ou du moins aux invalides militaires. Les autres sont des propriétés particulières. Les principaux de ceux-ci sont le Goloss (la Voix), qui a pour éditeur M. Kraievski et qui passe pour être l’organe du ministre de l’instruction publique, M. Golovnine, et de ses amis, — le Dien (le Jour). Il a paru plus récemment une autre feuille périodique, la Wiest (la Nouvelle), dont le rédacteur est M. Skariatine et qui a été fondée pour défendre les idées de conservation sociale ; elle est patronnée par de grands propriétaires, le comte Bobrinski, le comte Orlof-Davidof. Tous ces journaux, sans parler des recueils comme le Contemporain, la Parole russe, représentent toutes les nuances d’idées, depuis l’opinion conservatrice jusqu’au socialisme le plus fougueux, et contribuent à former ce tapage lointain de polémiques dont la note criarde et dominante est toujours la guerre à la Pologne. C’est néanmoins la Gazette de Moscou qui a eu l’action la plus décisive, la plus retentissante surtout, et c’est le rédacteur de la Gazette, M. Michel Nikiforovitch Katkof, qui est la personnification vivante de cette action, si bien que l’histoire de son influence serait presque l’histoire de la Russie de ces derniers temps.

Depuis deux ans, M. Katkof est vraiment le leader de l’empire, le chef dans la presse, j’allais dire le créateur du parti ultra-national. Ce n’est plus un homme tout à fait nouveau, il a aujourd’hui quarante-cinq ans ; il est d’une famille de petite noblesse de Moscou, ce foyer concentré et préféré de la vie russe. Son éducation s’est faite dans les universités allemandes, à Kœnigsberg, à Berlin, où il a été élève de Schelling, et de cette éducation première il a