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de la couleur laiteuse des vagues profondes qui, roulant sur un lit de craie, troublent la vue des plongeurs ; mais aussi quelle entreprise herculéenne !

Qu’avais-je d’ailleurs besoin de chercher au loin l’utilité de cette invention, dont autour de moi tout proclamait les services ? A Plymouth, la cloche a nettoyé l’embouchure des ports, arraché les ancres du fond de la mer, jeté les fondemens d’édifices amphibies qui reposent moitié sur la terre, moitié dans l’eau. L’un de ces édifices est le Royal William victualling house, vaste dépôt de la marine anglaise, près duquel il a fallu construire une digue, sea wall, qui permet aux plus lourds navires de charger et de décharger les marchandises sur des quais pavés de granit. Pour tous ces travaux d’architecture, on a eu recours à la diving-bell. Les pierres qui doivent être jointes ensemble au fond de la mer sont taillées, préparées et numérotées d’avance sur le rivage. On les descend ensuite au moyen d’un cabestan dans des précipices de trente à soixante pieds d’eau, où des ouvriers, travaillant sous la cloche, les reçoivent, les ajustent et font, assure-t-on, presque autant de besogne que les maçons qui bâtissent en plein air. Ainsi s’élèvent et se cimentent au sein même de l’océan les remparts destinés à briser ses fureurs.

La cloche a encore rendu plus d’un service aux ingénieurs en les mettant à même de reconnaître la nature de certaines avaries qui menacent trop souvent d’une grande ruine les ouvrages sous-marins. Lorsque Brunel était en train de construire le fameux pont sous la Tamise et que le courant du fleuve eut percé la voûte du tunnel, il descendit dans une diving-bell afin de s’assurer par lui-même de l’étendue du désastre. La machine s’enfonça sous l’eau à près de trente pieds et arriva jusqu’à l’ouverture béante creusée dans la maçonnerie. Cette déchirure était néanmoins trop étroite pour que la cloche pût y entrer. Il fallait donc, ou qu’il renonçât à poursuivre ses observations, ou qu’il recourût à un autre moyens pour atteindre le théâtre des travaux, situé huit ou dix pieds plus bas. Brunel n’hésita point ; s’emparant du bout d’une corde, il plongea lui-même dans la brèche. Là il demeura sous l’eau durant deux minutes. Ses compagnons commençaient à s’alarmer, ils donnèrent le signal pour qu’il remontât. Lui cependant, tout occupé de recherches importantes, avait quitté la corde et eut à peine le temps de la ressaisir au moment où s’éloignait cet unique moyen de salut. Revenu dans l’intérieur de la cloche, il s’étonna du temps qu’il avait passé sous la rivière et qui dépassait de beaucoup la moyenne des forces humaines. Cette circonstance valait bien la peine qu’on en cherchât la cause. Il ne faut point perdre de vue que