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réduite à un engagement pur et simple de demeurer à Hippone et de n’accepter nulle part ailleurs le sacerdoce. On présenta ensuite l’écrit à la signature de Pinianus, qui le souscrivit de son nom ; les assistans crièrent alors d’une voix unanime qu’il fallait que l’évêque signât, qu’il devait se porter garant de l’engagement contracté devant lui. L’évêque prit les tablettes et le style, et se mit en devoir de signer ; mais à cet instant Mélanie fit un pas vers lui, et lui saisissant le bras, « très saint père, dit-elle avec résolution, tu ne signeras pas cela, tu ne confirmeras pas l’emprisonnement de tes hôtes. » Augustin, interdit, laissa tomber le style et n’acheva pas les lettres de son nom, qu’il avait commencé de tracer. Toutefois un diacre, s’emparant de l’écrit, courut le lire au peuple, mais le peuple ne se montra point satisfait ; il voulut que Pinianus vînt lui-même à la barre du chœur renouveler de vive voix sa déclaration devant l’assemblée. Le malheureux était plus mort que vif, cette longue scène l’avait tué. Il refusa de paraître sans l’évêque, et on le soutint pour le conduire jusqu’à la clôture du chœur. Quand il eut fini de lire cet engagement forcé, la foule s’écria : « Dieu soit béni ! » puis on le traîna pâle et défaillant jusqu’à sa maison. Mélanie conservait plus de fermeté. Alypius s’était échappé avant la fin du tumulte, redoutant quelque insulte grave ou pis encore, et on le sut bientôt sur le chemin de Tagaste. Quant à Augustin, il alla se confiner chez lui, le cœur rempli d’angoisses et peut-être de remords.

Augustin avait été bien faible. L’évêque qui devait déployer plus tard un si ferme courage en face des Vandales n’avait montré devant son clergé et son grossier troupeau d’Hippone qu’incertitude et pusillanimité. Les conséquences de cette faiblesse apparurent bientôt et enveloppèrent comme d’un réseau de douleurs celui qui avait abandonné à d’indignes violences des amis et des hôtes. Le lendemain ou le surlendemain de la scène de l’église, Pinianus sortit d’Hippone, soit qu’il voulût éprouver jusqu’à quel point il était libre, soit qu’il eût réellement des affaires au dehors. A peine le bruit de son absence se fut-il répandu qu’une foule insolente se porta sur la maison d’Augustin, réclamant à grands cris le prisonnier : Pinianus était devenu serf public. Augustin se crut obligé de lui écrire comme s’il eût été son geôlier ; il lui rappela et les obligations d’une promesse solennelle et la parole épiscopale engagée. C’en était trop pour ses malheureux amis. Alypius, le premier, éclata en reproches. « Pinianus, lui écrivit-il, est libre, et son serment extorqué ne le lie pas, les circonstances qui le lui ont arraché et que tu connais ont frappé l’engagement de nullité. Et d’ailleurs, en admettant qu’il ait sciemment promis de demeurer à Hippone, il a eu l’intention de le faire dans la condition de tous les citoyens