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du vin cuit et des gâteaux. Depuis le matin jusqu’au soir, les pauvres gens avaient le droit de se régaler aux frais de leur édile ou de leur duumvir, « Ami, dit une inscription, demande des gâteaux et du vin, on t’en donnera jusqu’à la sixième heure. N’accuse que toi, si tu arrives trop tard. » Les décurions étaient naturellement mieux traités que la populace. On les invitait à un repas public, et l’on fournissait à leurs concitoyens l’occasion de les voir dîner en cérémonie. Quelquefois on étendait cette libéralité au peuple tout entier, ce qui ne dispensait pas de faire des distributions d’argent auxquelles tout le monde prenait part : chacun recevait suivant la position qu’il occupait dans la ville. On donnait 20 sesterces (4 fr.) aux décurions, 10 sesterces (2 fr.) aux membres de certaines associations religieuses et commerciales, les augustales, les mercuriales, et 8 sesterces (1 fr. 60 c.) à tous les autres citoyens. Quant aux jeux de toute sorte dont on devait faire les frais, le peuple y tenait plus qu’à tout le reste. Il fallait lui offrir des courses de chevaux, des luttes d’athlètes, des combats de gladiateurs, ou même tous ces spectacles à la fois. L’inscription d’A. Clodius Flaccus, le duumvir de Pompéi dont j’ai déjà parlé, montre à quels excès de générosité on se laissait entraîner pour contenter ses électeurs et pour éclipser ses rivaux. Il semble en vérité qu’en ce moment on regardait comme le premier devoir d’un homme riche de se ruiner à régaler et à divertir ses concitoyens. Chaque événement de sa vie de famille, comme de sa carrière politique, amenait pour lui de nouvelles dépenses. Quand il était nommé à quelque magistrature, quand ses enfans prenaient la robe virile, quand ses proches parens mouraient, il lui fallait donner des jeux, des repas ou de l’argent au peuple, sans compter qu’à ces libéralités de tous les jours beaucoup se croyaient obligés de joindre des libéralités posthumes pour faire bénir leur nom par la postérité. C’est ainsi qu’un duumvir de la petite ville de Pisaure lègue à ses concitoyens 1 million de sesterces (200,000 fr.) à la condition que l’intérêt de 400,000 sesterces (80,000 fr.) servirait à offrir tous les ans un repas au peuple à l’anniversaire de la naissance de son fils, et qu’avec les revenus des 600,000 sesterces (120,000 fr.) qui restaient, on donnerait tous les cinq ans un combat de gladiateurs.

Ce sont là des dépenses effrayantes, auxquelles les fortunes les plus considérables de nos jours auraient peine à suffire ; pourtant le peuple exigeait plus encore. À ces repas, à ces fêtes, il fallait, pour lui plaire, joindre des bienfaits plus durables et plus sérieux : c’étaient presque toujours des travaux publics que le magistrat entreprenait à ses frais. Tantôt il construisait ou il réparait des routes pendant plusieurs milles de longueur, et quand il les faisait payer