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ratification de l’amendement constitutionnel abolissant l’esclavage, ainsi que l’adoption de lois efficaces pour la protection des affranchis, puis les livrer à elles-mêmes en leur permettant de nommer un gouverneur de leur choix, et conduire par la main leurs députés et leurs sénateurs aux deux chambres du congrès, — tel est en résumé ce système habile et simple, le meilleur sans doute et le plus indulgent qui se pût imaginer pour la réorganisation du sud.

M. Johnson était donc devenu inopinément le protecteur déclaré des états du sud. Sitôt que sa défection fut certaine, les radicaux ouvrirent contre lui leurs bordées. Forts de leurs majorités dans les deux branches du congrès, ils le menacèrent à leur tour de le faire mettre en accusation par la chambre et déposer par le sénat. Ils se dirent trahis et livrés à l’ennemi par ce nouveau Buchanan, ce renégat de l’esclavage qui apostasiait une seconde fois. Ils firent retentir partout leur plus gros tocsin d’alarme ; ils s’en allèrent de ville en ville et de meeting en meeting crier que tout était perdu, et qu’il n’y avait qu’un effort héroïque qui pût sauver le pays de l’abîme. A les en croire, la politique du président Johnson donnait gain de cause à la rébellion ; elle la relevait de ses ruines pour la rendre plus forte et plus menaçante que jamais ; elle allait même, si l’on n’y prenait garde, l’introniser à Washington à la tête du gouvernement et ressusciter l’hydre abattue des majorités démocratiques. « Il n’y a plus maintenant, s’écriait Wendell Phillips avec sa véhémence ordinaire, il ne peut plus y avoir que deux partis, les sycophantes de Davis et les amis de l’Union. Quiconque veut la reconstruction, la restauration des états du sud, n’est plus qu’un sycophante de Davis ! » Ces exagérations monstrueuses ne pouvaient que nuire aux radicaux en offensant le bon sens du peuple. Tandis que leurs orateurs usaient contre le président Johnson leurs foudres impuissantes, la masse des républicains lui restait fidèle et le suivait avec confiance dans la voie nouvelle où il s’était engagé.


III

Tout n’était pourtant pas chimérique dans les terreurs du parti radical. Il était de bonne foi quand il accusait le président Johnson de livrer la victoire aux rebelles et de sacrifier l’honneur national à la commodité de l’heure présente. Si ce parti avait tort de vouloir subordonner tous les intérêts du pays à l’application immédiate de l’égalité des deux races, on ne peut blâmer son obstination clairvoyante à poursuivre dans l’esclavage l’ennemi le plus dangereux de l’Union.

Il y a peu de gens en Europe qui comprennent bien le caractère