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injuste de lui reprocher l’initiative de l’attaque, s’il était prouvé que la provocation calculée, opiniâtre, vient de la Prusse. Or sur ce point le doute n’est pas possible. M. de Bismark veut acheter à l’Autriche le duché de Holstein, et celle-ci jusqu’à présent refuse de le vendre. Ne pouvant vaincre cette résistance, M. de Bismark accuse l’Autriche de trahir les droits du condominium au profit du duc d’Augustenbourg. Les prétendus titres de ce malheureux duc à la succession du Slesvig-Holstein ont été un des principaux prétextes de la querelle inique que l’on a cherchée au Danemark. Ce duc, en accompagnant les troupes de la diète fédérale dans le Holstein, croyait entrer dans son domaine ; la diète, en s’attribuant le droit de se prononcer sur les titres des prétendans aux duchés, semblait annoncer l’avénement de ce prince ; le sentiment des populations des duchés lui est manifestement favorable, et l’Autriche, en entrant dans le Slesvig-Holstein, a toujours paru réserver l’autorité de la diète sur la question de succession. Pour M. de Bismark, toutes ces assurances, toutes ces réserves, ne sont plus que de faux prétextes qu’il faut rejeter avec insouciance, puisqu’ils ont cessé d’être utiles. Pour M. de Bismark, appuyé des syndics de la couronne prussienne, personne parmi les prétendans n’a de titres à la souveraineté des duchés de l’Elbe. Il n’y avait qu’un souverain légitime, c’était le roi de Danemark. Celui-ci, contraint par le droit de la guerre, a transmis ces provinces à la Prusse et à l’Autriche. M. de Bismark veut changer la possession indivise en une appropriation totale et définitive à la Prusse. Ainsi il entend imposer à l’Autriche l’interprétation prussienne du droit de succession dans les duchés, interprétation qui n’est jusqu’à présent acceptée par aucun des autres états de la confédération, et il la presse en même temps de lui vendre le Holstein à prix d’argent. Dans toute cette controverse, le rôle de l’agression morale appartient uniquement à M. de Bismark ; l’Autriche se borne à la résistance passive. Si la conclusion de cette discussion devait être une prise d’armes, l’Autriche aurait beau commencer les hostilités la première, c’est le gouvernement prussien qui aurait été moralement le véritable agresseur. Quoique cette idée de trafiquer à prix d’argent d’un peuple et d’une province ait à notre époque quelque chose d’odieux et suffise à justifier la résistance de l’Autriche, d’autres considérations doivent détourner la cour de Vienne de la proposition qu’on lui adresse. Le succès de la Prusse serait une humiliation profonde pour l’Autriche, et déplacerait l’axe des forces en Allemagne. La Prusse serait agrandie comme puissance allemande, et l’Autriche, déshonorée par son marché, abdiquerait le patronage naturel qu’elle exerce sur les états moyens de la confédération. Il serait acquis dès lors que ces états n’auraient plus rien à espérer de la protection de la cour de Vienne contre les tendances envahissantes de la cour de Berlin. L’ascendant prussien étant ainsi établi par un fait éclatant, les faibles, comme à l’ordinaire, feraient leur cour à la force. La Prusse aurait bientôt assez d’influence