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la lumière ; une parole sainte descendit de la lumière sur la nature, et un feu pur s’élança de la nature humide sur les hauteurs.

« Ce qui en toi voit et entend est le Verbe du Seigneur ; l’Intelligence est le Dieu père.

« Je crois en toi et te rends témoignage ; je marche dans la vie et la lumière. O Père, sois béni, l’homme qui t’appartient veut partager ta sainteté comme tu lui en as donné le pouvoir[1]. »


Il est très probable que le Poimandrès et l’Évangile de saint Jean ont été écrits à des dates peu éloignées l’une de l’autre, dans des milieux où les mêmes idées et les mêmes expressions avaient cours, l’un parmi les Judæo-Grecs d’Alexandrie, l’autre parmi ceux d’Ephèse. Il y a toutefois entre eux une différence profonde qui se résume dans ce mot de saint Jean : « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous. » L’incarnation du Verbe est le dogme fondamental du christianisme, et comme il n’y a aucune trace de ce dogme dans le Poimandrès, il n’est pas vraisemblable que l’auteur en ait eu connaissance ; autrement il y aurait fait allusion, soit pour y adhérer, soit pour le combattre.

Ce qui semble certain, c’est que le Poimandrès est sorti de cette école des thérapeutes d’Égypte, qu’on a souvent confondus à tort avec les esséniens de Syrie et de Palestine. Philon établit entre les uns et les autres d’assez notables différences. « Les esséniens, dit-il, regardent la partie raisonneuse de la philosophie comme n’étant pas nécessaire pour acquérir la vertu, et ils la laissent aux amateurs de paroles. La physique leur paraît au-dessus de la nature humaine ; ils l’abandonnent à ceux qui se perdent dans les nuages, sauf les questions relatives à l’existence de Dieu et à la création du monde. Ils s’occupent par-dessus tout de la morale. » Philon décrit ensuite les mœurs des esséniens, et cette description pourrait s’appliquer aux premières communautés chrétiennes, tant la ressemblance est frappante. On peut donc croire que c’est parmi eux que les apôtres ont recruté leurs premiers disciples. Il nous semble probable que le Pasteur d’Hermas est sorti de ce groupe, et que le titre de l’ouvrage et le nom de l’auteur ont inspiré par esprit de rivalité à quelque thérapeute judæo-égyptien l’idée de composer à son tour une sorte d’apocalypse moins moraliste et plus métaphysique, et de l’attribuer, non pas à un Hermas ou à un Hermès contemporain, mais au fameux Hermès Trismégiste si célèbre dans toute

  1. On lit dans l’Évangile de saint Jean :
    « Dans le principe était le Verbe (λόγος, raison, parole), et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu.
    « Il était dans le principe avec Dieu. — Toutes choses sont nées par lui, et rien de ce qui est fait n’a été fait sans lui… »