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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/933

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Suivant lui, comme nous l’avons vu, rien n’arrive dans l’ordre physiologique sans une condition antécédente, absolument déterminée, liée elle-même à une condition antérieure ; de condition en condition il faut toujours arriver à une excitation externe, c’est-à-dire à un phénomène physico-chimique sans lequel aucun phénomène vital ne peut se produire. Il y a donc un circulus vital, mais qui n’a pas en lui son commencement absolu, et qui, même lorsqu’il nous apparaît comme entièrement indépendant, ne l’est pas en réalité, ne se soutient que grâce à des conditions physico-chimiques, externes ou internes, sans lesquelles la machine s’arrête, se désorganise et meurt.

Telle est l’idée générale d’après laquelle M. Claude Bernard se représente la vie, et cette idée générale, nous n’avons aucune raison de nous refuser à l’admettre, d’abord parce qu’il nous manquerait l’autorité nécessaire pour la contester, en second lieu parce qu’elle nous paraît conforme aux vrais principes. Elle est conforme d’abord au principe de Leibniz, que rien n’arrive sans raison suffisante ou déterminante. Un phénomène dont on ne pourrait donner la raison déterminante serait produit par le pur hasard. Il ne suffit pas d’admettre une cause, un pouvoir d’agir, une faculté occulte ; il faut encore que cette cause, cette faculté soient déterminées à l’action par quelque raison particulière, par quelque condition antécédente et précise. En second lieu, l’idée que M. Claude Bernard se fait de la vie est encore conforme à cette grande loi, admise par tous les métaphysiciens, à savoir que l’inférieur est la condition du supérieur. Ainsi les forces physico-chimiques sont nécessaires à la vie nutritive, la nutrition l’est à la sensibilité, la sensibilité l’est à l’intelligence. Aucune force nouvelle ne se déploie sans y être sollicitée par des forces inférieures. Il faut donc accorder à M. Claude Bernard ces deux propositions fondamentales : — tous les phénomènes vitaux sont liés entre eux d’une manière déterminée ; — ils sont liés aussi à des excitations physico-chimiques. Quoi que puissent penser ultérieurement les métaphysiciens, quelque système qu’ils veuillent soutenir, ces deux propositions sont inébranlables, et elles suffisent pour rendre la science possible. Ainsi l’intérêt de la physiologie est sain et sauf, et le physiologiste peut s’arrêter là. Qu’il y ait d’ailleurs une force vitale ou qu’il n’y en ait pas, cela ne modifie en rien le résultat de ses recherches. Il n’en est pas de même du métaphysicien.

La vie en effet est en quelque sorte le nœud du problème que nous présente l’univers, car la vie tient d’une part à la matière en général, et de l’autre elle tient à la sensibilité et à la pensée. D’une part en effet la vie ne se manifeste que dans la matière, et dans une