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ces paroles de M. Cousin. Même aux États-Unis, pays exceptionnel où la diffusion des lumières dans toutes les classes est favorisée par les mœurs, les institutions démocratiques, les traditions séculaires et les nécessités de la religion dominante, on regrette d’avoir laissé tomber en désuétude l’ancienne obligation établie par les fondateurs des états. « Je ne connais qu’un moyen, dit un publiciste américain, M. Henry Bernard, de désarmer la sauvagerie native de cette future armée d’électeurs dont l’ignorance peut menacer notre organisation sociale et politique, c’est de porter une loi générale qui oblige tous les enfans à fréquenter l’école, et qui leur assure à tous une bonne éducation morale. » Déjà même un état, celui qui a pour capitale l’Athènes américaine, Boston, et où le goût de la culture intellectuelle est le plus répandu, le Massachusetts, a rétabli l’obligation sous des peines très sévères. Une loi du 30 avril 1862 impose à toutes les communes le devoir de prendre des mesures contre le vagabondage et le défaut de fréquentation de l’école. Tout enfant de sept à seize ans qui contrevient aux règlemens établis peut être condamné à une amende de 20 dollars, à la charge des parens, ou être placé par autorité de justice dans un établissement d’éducation ou de correction[1]. Cet exemple montre une fois de plus que ce sont les pays les plus libres et les plus jaloux de leurs droits civiques qui respectent le moins la liberté de l’ignorance.

En Europe, les seuls pays qui aient réussi à faire pénétrer l’instruction dans toutes les classes sont ceux qui ont rendu l’enseignement obligatoire. Ceux qui ont reculé devant cette mesure n’ont pas atteint le but qu’ils avaient en vue, malgré les efforts persévérans des pouvoirs publics et les subsides sans cesse croissans qu’ils ont consacrés à l’enseignement primaire. Pour montrer les avantages du système coercitif, rien de plus instructif et de plus concluant que de comparer l’instruction chez les peuples qui l’ont accepté et chez ceux qui l’ont repoussé. Nous étudierons donc les résultats obtenus d’une part en France et en Belgique, d’autre part en Prusse et en Suisse.

  1. La ville de Boston a nommé trois fonctionnaires chargés chacun de l’inspection d’un tiers de la ville. Ces agens, appelés truant officers, parcourent constamment les rues, et quand ils rencontrent des enfans en âge d’école, ils recherchent le motif qui les empêche d’y aller et engagent les parens à les y envoyer. Quand l’enfant est trop pauvre pour se vêtir convenablement, ils s’adressent à des comités de bienfaisance, et l’obstacle est généralement levé par ceux-ci. Quand il s’agit d’enfans abandonnés à la paresse, au vagabondage, au vice, ils ont d’abord recours à la persuasion, aux secours, aux bons conseils. Si ces moyens échouent, ils font condamner ces jeunes vagabonds à être détenus pendant quelques années dans l’école de réforme, moins encore pour les punir que pour les soustraire à l’exemple de leurs parens et pour en faire des citoyens vertueux et utiles. Ces trois agens constatent environ 3,000 cas d’absentéisme chaque année.