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de son rôle nouveau ? Au fond je le crois, et elle a certainement gagné beaucoup à devenir la capitale de l’Italie ; elle ne fait pas moins comme si elle était mécontente ; elle se considère un peu comme envahie par tout ce monde d’employés qui est venu mettre en fuite ses visiteurs habituels et aggraver les conditions de la vie. Naples se nourrit de son esprit d’opposition et de fronde. La Sicile nomme Mazzini député. Un peu partout c’est à qui se plaindra des abus, des impôts, de ce qui se fait ou de ce qui ne se fait pas, des précipitations du gouvernement ou de ses lenteurs. A ne considérer qu’un certain extérieur des choses, on se trouve en présence d’un amas d’incohérences morales, politiques, financières, administratives, qui semblent embarrasser et obscurcir les destinées de l’Italie nouvelle.

Élevez-vous au-dessus de ces considérations partielles et certainement éphémères. Les spectacles étranges se sont tellement multipliés de notre temps, la figure du monde change si vite, que beaucoup d’Italiens eux-mêmes semblent ne pas se douter de l’immensité de cette révolution qu’ils ont accomplie, et que bien des esprits en Europe, les prenant au mot, n’entrevoyant que les lacunes, les confusions au-delà des Alpes, se laissent aller à penser qu’effectivement on a fait bien peu pour avoir aujourd’hui une si grande ambition. Et cependant cinq ans ont suffi pour faire passer l’Italie, d’un morcellement indéfini et subordonné, à une vie nouvelle concentrée et libre, pour répandre et développer le sentiment de l’unité, pour attacher surtout les Italiens à cette œuvre de la création d’un peuple là où il n’y avait que des populations piémontaises, lombardes, génoises, toscanes et napolitaines. Ce qui est surprenant, ce n’est point que les Italiens aient fait si peu, c’est bien plutôt qu’ils aient fait tant de choses avec si peu de goût pour le travail et avec tant de raisons de ne pas l’aimer ; c’est qu’ils aient réussi à fondre tant d’élémens divers et incohérens, à plier les résistances, à conduire cette prodigieuse entreprise jusqu’au point où ils l’ont conduite en présence des difficultés sans nombre qu’ils avaient à vaincre.

Qu’on se représente en effet ces difficultés le jour où la révolution commençait et où l’unité devenait le mot d’ordre de ce mouvement d’indépendance suscité par la guerre de 1859. Au point de vue théorique, la révolution pouvait être décidée par des manifestations, par des annexions spontanées, par des plébiscites conquis au pas de course. Au point de vue pratique, quel était le sens de cette unité ? Que voulait-elle dire ? Comment allait-elle se réaliser dans un pays accoutumé à un morcellement séculaire, partagé en sept ou huit petits états inégaux et souvent jaloux les uns des autres ? —