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Politiquement chacun de ces états avait sa législation, son mécanisme administratif, ses mœurs, ses traditions locales, ses intérêts et ses goûts d’autonomie. Financièrement chacun d’eux avait son budget, sa dette, ses douanes, ses taxes, ses procédés de recouvrement variant souvent d’une province à l’autre, sa sphère d’action économique. Entre ces états, les différences de ressources, de richesse, de développement agricole et industriel étaient immenses, et l’inégalité de culture morale ou intellectuelle n’était pas moins frappante. Encore aujourd’hui cette inégalité va de 927 illettrés sur 1000 habitans dans la Calabre, de 928 en Sicile, à 489 dans la province de Turin, à 568 dans la province de Milan. Organisation, intérêts, habitudes, tout différait. Jusque-là, il est vrai, l’hégémonie piémontaise restait la sauvegarde et la force de l’émancipation italienne. Le Piémont donnait à l’Italie un centre de direction, une armée, le statut, une monarchie libérale et populaire ; mais le jour où la fusion s’accomplissait, si la prédominance piémontaise se faisait trop sentir, elle réveillait tous les antagonismes, elle pouvait ressembler à la conquête ; si elle s’effaçait trop, si elle était trop sacrifiée, c’était le Piémont qui pouvait se sentir froissé et déçu. Ce n’est pas tout : l’Italie avait à marcher dans cette voie hérissée d’embarras intérieurs, lorsque le roi François II était encore à Rome et demandait au brigandage de lui rendre une couronne qu’il n’avait pas su sauver du naufrage, lorsque le pape ne cessait de protester et gardait par le clergé une puissante action morale dans les provinces italiennes, lorsque l’Autriche attendait en armes derrière ses forteresses, lorsqu’enfin l’Europe entière, sauf l’Angleterre, cessait un moment d’être représentée à Turin.

C’est là que l’Italie en était il y a cinq ans, c’est de ces difficultés que l’unité naissante avait à triompher pour se présenter comme la forme durable et efficace de la nationalité italienne. Où en est l’Italie aujourd’hui après cette trêve de cinq années ? où en était-elle hier du moins avant de se laisser entraîner vers cette « étoile polaire » que M. de Cavour lui montrait dans sa carrière nouvelle ? Fondre toutes les dettes en une seule dette inscrite au grand-livre de l’Italie, substituer aux budgets particuliers un budget unique, étendre au pays tout entier par ce qu’on a nommé la péréquation, — œuvre assurément difficile, — les mêmes règles de contributions territoriales ; identifier toutes les parties du nouveau royaume par le même régime commercial, par la même organisation administrative et judiciaire, par les mêmes lois civiles et pénales ; établir un système coordonné de communications intérieures destinées à servir la défense nationale et à stimuler la fusion des intérêts ; créer une armée vraiment italienne, proportionnée à la puissance d’un état de