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pratiquement féconde, celle sans laquelle ne s’expliqueraient ni la confiance des Italiens, ni ce soudain déploiement de forces qui avait récemment tout l’air d’une révélation. L’Italie, vous en conviendrez, a bien dû faire quelque chose depuis cinq ans pour avoir pu, il y a un mois déjà, faire en quelques jours avec une précision et une rapidité merveilleuses une concentration de deux cent mille hommes dans la vallée du Pô, en face d’un ennemi formidable, au milieu de la tranquille et virile confiance d’une nation marchant au drapeau levé par son gouvernement.

Après cela, je ne m’y méprends pas, cet enfantement de l’unité italienne ne s’est pas fait par enchantement, sans s’égarer souvent dans d’obscurs embarras, sans provoquer des conflits d’instincts et d’intérêts, sans mettre à nu l’incohérence des choses et quelquefois l’inexpérience ou la faiblesse des hommes. Je n’ignore pas que ce travail de transformation soulève à chaque pas mille difficultés intimes, politiques, financières, administratives, dont l’explosion va de temps à autre réveiller tous les doutes, que notamment, aux yeux de bien des gens en Europe, il apparaît sous la triste figure de ce déficit obstiné où les imaginations effarées voient tout de suite un acte radical d’impuissance, l’inévitable faillite, de l’unité. Ceci est l’autre côté, le côté ingrat ; c’est la part de la réalité dans une révolution que j’ose dire sans précédens. Au fond, ces difficultés, — et elles sont réelles, elles sont un des élémens de la situation de l’Italie, — ces difficultés procèdent de différentes sources. Les unes découlent de la nature des choses, de la nouveauté même de cette révolution singulière, des diversités de tradition et d’esprit ; les autres sont la disgracieuse rançon de l’inexpérience des hommes ou de leurs passions ; il en est qui tiennent aux conditions mêmes dans lesquelles cette transformation s’accomplit, à cet étrange assemblage d’esprit libéral et d’instinct conservateur qui se retrouve dans toute la politique italienne, c’est-à-dire que ce sont des inconvéniens inévitables attachés à d’immenses avantages. La plupart n’ont assurément rien d’insurmontable, rien même, qui ne soit d’une solution naturelle et aisée, le jour où l’Italie serait définitivement assise dans ses frontières, dans la plénitude de son indépendance et dans sa sécurité.

Je prends les finances, puisque c’est là toujours qu’on veut voir la mesure de la vitalité et de la consistance de l’Italie nouvelle. Je cherche la raison morale et politique de ce déficit qui a fait évidemment perdre quelques batailles au crédit italien dans ces derniers temps. Si on se place uniquement au point de vue de l’alignement des budgets, et si on veut juger un peuple né d’hier comme on jugerait un état de vieille indépendance et de vieilles traditions,