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sceptre… Toutes les imaginations travailleraient sur ce thème unique ; toute l’activité nationale serait tournée vers ce but, et le pays se débattrait dans des convulsions, pour retrouver son intégrité, comme les membres coupés et palpitans d’un corps animé qui se cherchent pour se rejoindre… »

C’est la victoire du sentiment national sur toutes les dissidences partielles, sur tous les griefs secondaires, et ce sentiment se retrouve dans tous les rangs, dans toutes les classes, chez le commerçant et chez le lettré, chez le soldat et chez le médecin ou le légiste. Devant l’indépendance à compléter, toutes les distinctions de partis, toutes les nuances s’effacent ; il n’y a plus ni modérés ni parti d’action. Le général La Marmora, ce type de la vieille race piémontaise, un des hommes les plus intègres, dont le caractère est une garantie, mais aussi le moins révolutionnaire des soldats libéraux, le général La Marmora se retrouve sur le même terrain avec Garibaldi, et à son tour, on le voit aujourd’hui, Garibaldi, guéri d’Aspromonte, n’a point devancé l’heure où il allait être appelé au combat. Regardez ce grand vieillard au corps droit et robuste, à l’attitude encore ferme ; il a quatre-vingts ans ou bien près, il est aveugle, mais il garde toute la clairvoyance de l’esprit, et il parle avec une lucidité merveilleuse de toutes les affaires de l’Europe : c’est le marquis Gino Capponi, le vieux Florentin qui a vu déjà passer bien des événemens et avorter bien des projets. Le marquis Capponi ne parle pas autrement sur ce point que le légionnaire de vingt ans, et c’est lui qui a été, il y a quelque temps, dans le sénat, le rapporteur de la loi qui conférait les pleins pouvoirs au gouvernement. Cette vieille et sereine autorité semblait venir confirmer les espérances d’une lutte patriotique. Ce sentiment italien d’ailleurs s’est produit depuis deux mois avec des caractères particuliers. Quand on parle de l’Italie et des guerres italiennes, il semble que tout soit feu, exubérance, manifestations bruyantes et tumultueuses. Rien n’est plus éloigné de la vérité, au moins pour la période qui a précédé l’éclat définitif. Tout au contraire était calme et sang-froid. Ce n’est point par entraînement d’imagination ou par une sorte d’étourdissement patriotique qu’on marchait vers la guerre, c’était avec une résolution calculée, réfléchie et maîtresse d’elle-même. De plus, dans ce mélange de calme et de résolution, il passait je ne sais quel éclair viril, comme un sentiment nouveau de responsabilité nationale.

Qu’on ne s’y trompe pas en effet : l’Italie ne s’est point précipitée dans la voie où elle est aujourd’hui avec la pensée que la France allait aussitôt descendre des Alpes pour lui donner Venise après lui avoir donné Milan. Il y a quelques semaines, à Florence, je