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m’entretenais avec un des hommes qui ont eu dans les mains les affaires de l’Italie. Sans être décidée encore, la guerre semblait prochaine et inévitable, et elle était surtout désirée. Un point restait obscur : que ferait la France ? quel secours porterait-elle à l’Italie ? « Peu importe, me disait cet homme d’un esprit fin et résolu ; l’appui moral de la France, nous sommes sûrs de l’avoir, nous sommes certains qu’elle sera de ses sympathies dans notre camp. Au-delà, nous ne pouvons et nous ne devons rien demander. Nous avons été trop heureux jusqu’ici, la fortune nous a gâtés. Tout ce que nous avons fait ne nous a pas coûté assez pour que nous en sachions le vrai prix. Puisque l’Italie n’a pas payé avant, il faut qu’elle paie après. Il faut qu’elle porte le poids de ses destinées, qu’elle sache ce qu’il en coûte pour être une nation, sans être toujours à compter sur un secours étranger. C’est juste et c’est utile. Ce qui était naturel et ce qui n’avait rien d’humiliant pour un petit pays comme le Piémont placé en face de l’Autriche serait sans dignité pour l’Italie comptant vingt-deux millions d’hommes. Ce n’est point par une vaine forfanterie que nous pensons ainsi. Nous connaissons la force et la valeur de l’armée autrichienne, nous ne nous méprenons pas du tout sur ce qu’il y a de sérieux dans notre affaire, et cependant vous ne trouverez ici personne qui ne désire en finir. Si, après nous être épuisés pendant cinq ans à nous constituer, après avoir créé l’armée que vous avez vue, la flotte dont nous disposons, nous ne pouvons agir seuls et compléter nous-mêmes notre indépendance, quand donc le pourrons-nous ? Si un revers, certainement toujours possible, devait nous abattre, et si l’Italie était à la merci d’une défaite, c’est que nous ne mériterions pas de vivre. » Ceci était dit d’un ton net et vibrant. Après cela, je ne sais si tout au fond il n’y avait pas encore la pensée que la France ne pouvait être étrangère à ce qui arrive aujourd’hui ; c’était du moins l’expression d’un sentiment national viril. De cette prédominance du sentiment national sur tout le reste naît ce singulier malentendu qui semble s’élever quelquefois entre l’Europe et l’Italie. Là où l’Europe voit avant tout une question d’affermissement intérieur, de budget, de bonne administration et de patience, l’Italie voit une question d’indépendance à résoudre. C’est une situation qui n’est point nouvelle ; ce qu’on dit aujourd’hui à l’Italie, on le répétait sans cesse au Piémont il y a dix ans. On lui disait de songer à l’intérieur, de s’organiser, de soulager son budget des arméniens disproportionnés, de jouir de la liberté et de savoir attendre. D’abord c’est bien facile à dire. L’Italie peut répondre que c’est là justement le problème, que la condition première du désarmement et de toute organisation, c’est l’achèvement de ses destinées ; mais de plus il y a une circonstance