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France ne peut laisser l’Autriche rétablir son influence au-delà des Alpes, couvrir de ses armes victorieuses une réorganisation quelconque, si elle n’est point disposée à se prêter elle-même à des combinaisons sans force et sans durée, faites pour lui créer plus d’embarras que d’avantages, si en un mot elle est liée par ses sympathies, par ses intérêts, au maintien, à l’affermissement d’une Italie pleinement indépendante, que devient la neutralité ? Combien de temps peut-elle se prolonger ?

Quoi qu’il en soit, avec ou sans le concours de la France, avec ses forces et ses faiblesses, l’unité italienne est évidemment engagée aujourd’hui dans sa définitive et suprême épreuve. Elle est sous les armes, servie et soutenue par la passion d’un peuple. Qu’elle aille à Venise, nous l’y suivrons. Qu’elle aille ensuite à Rome, où tout deviendra plus facile le jour où la question d’indépendance aura été tranchée. Une fortune singulière a fait que deux fois je me suis trouvé en Italie, et deux fois c’était à la veille de la guerre. Je me souviens qu’au commencement de 1859 je gravissais un matin, pas à pas, la pente qui conduit du Tessin à Magenta, et je ne me doutais guère que là, sur cette route, dans ces champs environnans que le printemps allait faire reverdir, devait, quelques mois après, se dénouer une lutte dont je venais de sentir les frémissemens avant-coureurs dans l’air de Turin. Il y a quelques jours à peine, je suivais la route qui va de Bologne à Modène, à Parme, à Plaisance. Je contemplais ces campagnes couvertes d’opulentes moissons, coupées de rangées d’arbres que la vigne relie en serpentant, et je songeais que d’ici à peu ces champs, où la nature versait ses dons, seraient peut-être foulés sous les pieds des chevaux, que les hommes pourraient tomber aussi pressés que les épis sur ces sillons. Ce n’était pas de quoi faire aimer la guerre ; mais au bout apparaissait l’indépendance de l’Italie comme le prix de ces chocs sanglans que les peuples sont bien obligés d’accepter quand on leur dispute leur vie, et je ne pouvais m’empêcher de me rappeler, par un favorable augure, qu’à peu de distance, à Guastalla, il y a déjà plus d’un siècle, les armes autrichiennes étaient obligées de reculer devant les armes piémontaises alliées aux armes de la France.


CHARLES DE MAZADE.