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bien noter cette expression ; le quatrième évangéliste est trop philonien pour dire que le monde a été créé, au sens absolu, par le Verbe. Lui aussi, il stipule l’existence d’un élément anti-divin qu’il appelle « les ténèbres, » principe opposé à Dieu, qui est lumière par essence. Ces ténèbres et tout ce qui en provient, celui surtout qui les concentre à leur maximum, le diable, sont de nature antipathiques à la lumière, donc au Verbe, auquel appartient au contraire tout ce qui dans le monde est vie, lumière et amour. Si donc il advient que le Verbe se révèle d’une manière plus intense que cela n’avait eu lieu jusqu’alors, il ne sera pas étonnant, il sera au contraire parfaitement d’accord avec les prémisses du système que son apparition parmi les hommes produise une séparation morale (χρίσις) des plus marquées. Le dualisme, qui pénètre le monde, se continue en effet dans l’humanité ; il y a des « enfans de lumière » et des « enfans de ténèbres, » des « hommes de la chair » et des « hommes de l’esprit. » Les uns et les autres sont tels de nature, et sans que leur volonté individuelle y change rien, et en cela consiste le jugement de ce monde que les « hommes de l’esprit » viendront spontanément à la lumière pour se purifier toujours plus, tandis que les « hommes de la chair » demeureront dans leurs ténèbres et, mourant dans leur péché, iront à la perdition.

Or le Verbe de Dieu est venu en effet habiter parmi les hommes et dans une forme humaine. Il est apparu aux hommes de la chair sous les traits de Jésus de Nazareth ; mais les hommes de l’esprit ont bientôt discerné, sous l’humble enveloppe du Fils de l’homme, la gloire resplendissante du « Fils unique, » et son histoire n’a plus été autre chose que l’application auguste, tragique, de cette grande loi d’affinité élective ou de répulsion qui dérive de la différence des dispositions originelles. Aussi rentre-t-il dans la nature même d’une telle démonstration que les personnages mis en contact avec le Verbe incarné soient plutôt des types, des genres, que des individus. Ils représentent les diverses catégories du monde religieux et moral, et ils n’apparaissent l’un après l’autre que pour fournir au Verbe divin l’occasion de révéler les diverses faces de la vérité : au docteur Nicodème l’enseignement sur la naissance d’en haut, cette naissance de l’esprit, sans laquelle l’homme reste dans la chair et dans la mort ; à la Samaritaine, toute préoccupée de savoir si c’est à Jérusalem ou à Garizim qu’il faut adorer, la grande doctrine de l’adoration en esprit, qui seule est une adoration en vérité ; au paralytique désespéré de Béthesda la preuve que le Fils, comme le Père, vivifie ceux qu’il veut ; au peuple grossier, qui ne cherche Jésus que parce qu’il multiplie les pains d’orge, l’assertion que c’est le Fils lui-même qui est le pain de vie dont il faut manger spirituellement pour ne pas mourir, etc. Les Juifs en