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rapports historiques sur les écrivains des trois premiers Évangiles. Quelle vraisemblance y a-t-il que le pêcheur de Bethsaïda, qui avait appris aux côtés de Jésus autre chose et mieux que la philosophie, mais qui n’avait nullement pris l’humeur d’un savant d’école, qui, en 55, lors de l’épître aux Galates, en 68, quand l’Apocalypse fut écrite, appartenait encore à la tendance judæo-chrétienne, soit devenu dans sa vieillesse un platonicien, un alexandrin subtil et capable de faire entrer les théories de Philon dans des faits dont il avait été spectateur et agent ? Et quels faits ! Le conçoit-on enlevant arbitrairement à sa patrie, la Galilée, la gloire d’avoir été le berceau du royaume de Dieu, pour la décerner à la Judée proprement dite et à Jérusalem, parce que le Verbe incarné doit avoir eu, pour déployer sa gloire, un théâtre plus vaste, plus en évidence qu’une obscure province, de laquelle l’évangéliste s’imagine à tort (VI, 52) qu’aucun prophète n’est jamais sorti ? Peut-on se l’imaginer changeant la date du jour où son maître expira dans les tourmens, et cela pour plier l’auguste réalité dont il a été témoin aux subtiles exigences d’une théorie allégorique ? Non, les preuves morales sont au moins aussi fortes que les argumens de la science contre l’authenticité traditionnelle, et le quatrième Évangile, si beau, si élevé quand on le prend pour ce qu’il se donne, perdrait de son charme et de sa grandeur religieuse, si l’on était forcé d’attribuer à l’auteur de ce livre de pareilles déformations volontaires de sa propre histoire. Il est tout à la fois plus respectueux et plus rationnel en face d’un tel livre de poser comme il suit la question finale qui le concerne : sachant ce que nous savons du contenu, des doctrines, des intentions du quatrième Évangile, à quel moment de l’histoire de la primitive église convient-il d’en fixer la composition, et pourquoi la tradition, malgré certaines dénégations contemporaines, l’a-t-elle attribué à l’apôtre Jean ?

Nous n’avons ici rien de mieux à faire qu’à résumer les inductions pleines de sagacité de M. Scholten. En avant et en arrière du cours d’idées représenté par le quatrième Évangile, il est des mouvemens de la pensée religieuse dont ce livre est l’aboutissant ou le générateur. Si donc la date approximative de ceux-ci peut être déterminée, ce sera dans la période intermédiaire qu’il faudra placer le livre devant servir aux uns de point d’arrivée, aux autres de point de départ.

Eh bien ! en avant de ce livre se trouve certainement le grand débat des premiers jours de l’église entre les partisans de Paul et les judæo-chrétiens. C’est même là une de ces évidences auxquelles les défenseurs de l’authenticité pensent rarement et que pourtant ils sont incapables d’expliquer. Si l’on part de l’histoire