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et Rome à peu près vers le temps où Justin Martyr allait succomber, vers 165 ou 168, de telle sorte qu’Irénée a pu le trouver déjà très goûté dans l’église romaine et en possession d’une haute autorité comme, venu d’Éphèse. Vers 180 et malgré les protestations de quelques chrétiens, surtout en Asie, son pays d’origine, l’Évangile selon saint Jean était universellement considéré comme authentique et source aussi directe de l’histoire de Jésus que les trois autres, avec lesquels il partagea plus tard les honneurs de la canonicité.

Tels sont, résumés aussi brièvement que le permet une question à ce point compliquée, les résultats auxquels arrivent de nos jours un nombre croissant de critiques éminens, et j’avoue franchement qu’il me paraît bien difficile d’échapper au poids d’une telle argumentation. Oserai-je pourtant émettre un dernier scrupule ? J’accorde tout ce qu’on voudra à la liberté avec laquelle un philonien du IIe siècle pouvait se livrer en toute sécurité de conscience à des variations savantes et prolongées sur un thème donné. Toutefois j’hésite encore à me le représenter forgeant absolument de toutes pièces tous les incidens qui ne se trouvent que dans son Évangile. Il ne songeait qu’à l’idée, nous dit-on, et n’attachait aucune importance au fait lui-même. Je le veux bien, mais encore était-il bien aise de montrer qu’il y avait des faits reflétant et révélant les idées. Combien l’explication ne serait-elle pas plus plausible, si l’on découvrait un recueil de traditions concernant l’histoire de Jésus, et dont le rédacteur se serait proposé, vers le commencement du IIe siècle, d’arracher à l’oubli des épisodes ou des paroles que les documens antérieurs avaient ignorés ou omis ! On comprendrait alors beaucoup mieux comment le quatrième évangéliste a pu, sans trop d’arbitraire, appliquer à ces récits nouveaux les procédés de l’école philosophique à laquelle il se rattachait. Est-il probable qu’une découverte de ce genre viendra un jour dissiper les derniers doutes en remplissant l’espace vide qui existe aujourd’hui entre les synoptiques et le quatrième Évangile ? Il serait imprudent de le nier, depuis surtout que le succès d’investigations encore récentes a autorisé sur ce domaine des espérances qu’il y a peu de temps encore on eût taxées de chimériques. N’a-t-on pas retrouvé les trois épîtres primitives d’Ignace, le texte grec de Barnabas et du Pasteur d’Hermas ? Ne vient-on pas de rendre au jour un curieux apocryphe intitulé l’Apocalypse de Paul, étrange, mais instructive élucubration d’un moine visionnaire du IVe siècle, et que l’on croyait à jamais perdue ? Qui sait ce que nous fourniront encore les cryptes des vieux monastères de l’Orient et même les rayons encore imparfaitement explorés de plus d’une de nos grandes bibliothèques ? Il en est tant, de ces vénérables collections, à commencer par celle du Vatican, que la science libre n’a pas encore pu examiner à l’aise.