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couleur funéraire sur les ombres noires de l’architecture et sur la pourpre sanglante dont sont vêtus les assistans. Au-dessus de la porte, un cadavre rougeâtre gît raidi entre les soldats et les grandes robes rouges des juges ; mais ce ne sont là encore que des accompagnemens. Un pan entier de la salle, un mur long de quarante pieds, haut à proportion, disparaît sous un Crucifiement, dix scènes en une seule et qui s’équilibrent pour en faire une seule, quatre-vingts personnages espacés et groupés, un plateau bosselé de rocs au pied d’une montagne, des arbres, des tours, un pont, des cavaliers, dès crêtes pierreuses, dans le lointain un immense horizon brunâtre. Il n’y a pas d’œil qui ait embrassé de tels ensembles, ni qui ait combiné de pareils effets. — Au centre le Christ est cloué à la croix dressée, et sa tête s’affaisse obscure dans le rayonnement fauve de son nimbe. Une échelle est derrière son poteau, et des bourreaux grimpent, se tendant l’éponge. Au pied de la croix, les disciples, les femmes, debout, ouvrant les bras, agenouillés, crient et pleurent ; la Vierge s’évanouit, et tous ces corps de femmes penchés, chancelans, tombans, sous de grandes draperies rougeâtres, rosées, rousses, bleuâtres, avec un éclair de soleil sur une joue, sur un menton, font la plus éclatante pompe funéraire. — Comme une harmonie grandiose qui soutient un chant perçant et plein, les foules et les scènes environnantes accompagnent la scène principale de leur variété et de leur magnificence tragique. — Sur la gauche, un des deux larrons est déjà lié à sa croix, et on la dresse ; le haut de son corps luit dans la lumière, le reste est dans l’ombre. Cinq ou six bourreaux tendent des câbles et soutiennent les montans, tirent et poussent de toute la force et de tout l’effort de la machine musculaire raidie. Le jour coupe en travers leurs casaques rosées et rayées, les tendons bruns de leurs cous, les veines enflées de leur front. Leurs outils sont là, des haches, des pics, des coins, une échelle massive, et à la tête de la croix, dans une belle ombre lumineuse, un curieux indifférent, penché sur son cheval, regarde. — De l’autre côté, avec une splendeur et une diversité égales se déploie le troisième supplice, comme un chœur qui correspond à un autre chœur. La croix est à terre, on y lie le patient ; un bourreau apporte des cordes ; un autre, athlétique et superbe, enflant son épaule tordue, tourne une tarière dans le bras de la croix ; sur le pied du plateau, un vieil amateur s’est assis ; le spectacle l’intéresse, il se penche à demi couché dans sa robe rouge, et près de lui, sur un cheval gris de fer, une sorte de ruffian en bonnet, un grand coquin roussâtre, tout éclairé, se courbe pour indiquer un procédé utile. — Par-delà les trois scènes, roule échelonnée sur cinq ou six plans, avec des variétés