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en qualité d’interprète un Sikimèse, Cheeboo Lama, qui résidait à Darjeeling comme représentant du rajah de son pays natal auprès des autorités britanniques. Cheeboo Lama était un prêtre bouddhiste d’un caractère conciliant et très recommandable. Le gouvernement britannique, en récompense des services diplomatiques qu’il en avait reçus, lui avait fait cadeau d’un terrain fort étendu sur lequel il s’était établi auprès de Darjeeling. Tout au plus les gens délicats eussent-ils pu lui reprocher quelque malpropreté, parce que, suivant l’usage de ses compatriotes, il ignorait d’une façon absolue l’usage des ablutions quotidiennes. Sous sa robe graisseuse de soie jaune et sa toque de même couleur, garnie d’une bordure de velours, il ne s’en était pas moins fait la réputation d’un homme obligeant, de bon conseil. L’escorte se composait d’une centaine d’hommes des corps indigènes. On comptait en outre qu’il faudrait emmener plusieurs centaines de coulies pour porter les bagages, car les bêtes de somme ne peuvent pénétrer dans les montagnes du Bhotan ; encore moins les voitures peuvent-elles y circuler.

M. Eden était à Darjeeling au mois de novembre 1863, prêt à partir, n’attendant plus que la réponse des autorités de la montagne à l’avis qui leur avait été donné deux mois auparavant de l’envoi d’une ambassade en leur pays. Il écrivit lui-même pour dire qu’il était prêt à se mettre en route et demander qu’on envoyât au-devant de lui des guides et des coulies. Vers ce temps, il apprit qu’il n’y avait plus de gouvernement établi au Bhotan, qu’il venait d’y avoir une révolution intérieure et que la contrée entière était en proie à l’anarchie. Au fond, ce n’était qu’une de ces révolutions de palais dont les indigènes semblent avoir une constante habitude. Le deb titulaire avait été détrôné, expulsé, relégué dans un monastère ; un autre avait été mis à sa place. Les uns tenaient pour le premier, les autres pour le second. Aussi chaque forteresse, pour ainsi dire, était le théâtre d’une lutte entre les partisans du nouveau souverain et ceux de l’ancien. Cependant les rebelles semblaient assurés de la victoire. Le gouverneur-général de l’Inde, sur l’avis qu’il reçut de ces événemens, se dit que les vainqueurs rechercheraient sans doute l’amitié des Anglais afin de consolider leur pouvoir récent. M. Eden reçut donc l’ordre de marcher en avant aussitôt que la contrée paraîtrait à peu près pacifiée. Il était d’autant plus engagé à se conduire ainsi que le jungpen de Dhalimkote, qui est la forteresse la plus voisine de Darjeeling, offrait de lui faciliter le voyage, à la condition toutefois de recevoir un beau présent en récompense de cet important service.

M. Eden se mit donc en route. Sans avoir sous les yeux une carte exacte du pays, on se rendra facilement compte des obstacles que la nature même du terrain devait lui opposer. La ligne de faîte