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moment, faire ses préparatifs, travailler aussi l’esprit du roi, et ce n’était pas chose facile que d’amener le vieux Guillaume Ier à des résolutions extrêmes, malgré toute l’action fascinatrice que pouvaient exercer sur ce monarque, comme sur le Charlemagne de la légende, les eaux profondes d’un certain fleuve, — le beau fleuve de l’Elbe !

Une femme d’esprit, une grande dame qui a son franc parler avec les hommes d’état de l’Europe, demanda un jour (c’était dans l’automne de 1865) au président du conseil de Prusse s’il ne mettrait pas bientôt fin à cette interminable affaire des duchés, qui l’ennuyait bel et bien. — Elle m’ennuie moi aussi, répondit le brillant ministre ; malheureusement le roi est trop honnête ! — Il paraîtrait que ce malheur avait notablement diminué un peu plus tard, car dès janvier 1866 nous voyons M. de Bismark résolu à reprendre vigoureusement l’interminable affaire et à engager un débat selon toute apparence décisif. Quant à l’occasion de dispute, elle ne pouvait guère jamais faire défaut dans une cause si éminemment tudesque, fourmillant par conséquent de ces problèmes insolubles qui distinguent toute théologie véritable et digne de ce nom…

Quoi qu’on ait dit, en effet, il est aussi impossible de chasser le surnaturel que le naturel, et pour avoir constamment travaillé à éliminer de sa vie religieuse toute espèce de « mythe » et de mysticisme, la Germanie a dû en revanche faire au même principe une large part dans sa vie politique. En Allemagne, c’est l’église qui est rationaliste et c’est l’état qui est mystique, transcendant, trans-substantiel, ayant ses dogmes incompréhensibles, ses défis à la raison humaine, ses subtilités d’omoiousios et omoousios, — et la convention de Gastein n’a pu guère échapper à cette loi fatale. Elle enseignait l’unité de la personne souveraine dans les pays de l’Elbe sous les deux espèces de l’empereur et du roi ; elle déclarait la complète séparation et indépendance de l’administration prussienne dans le Slesvig et de l’administration autrichienne dans le Holstein, — le tout « sans préjudice à la persistance des droits des deux puissances à la totalité des deux duchés… » Qu’arriverait-il donc, si tel acte, qui, aux yeux de l’Autriche, ne serait qu’un acte purement administratif, semblait par contre à la Prusse impliquer le condominium et porter « préjudice à la persistance des droits communs à la totalité ? » Et par exemple le général Manteuffel, dans le Slesvig, refusait l’accès du territoire au duc d’Augustenbourg : c’était, selon lui, un perturbateur de l’ordre public, un ennemi, la négation incarnée du condominium. Le général de Gablenz, au contraire, permettait au malheureux duc de séjourner dans le Holstein, de s’y agiter même quelque peu et d’appeler un