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filaire n’a qu’un centième de millimètre d’épaisseur. Cette larve ne trouve donc aucune difficulté à pénétrer sous la peau par ces conduits, dont le nombre en outre lui épargne toute recherche, la peau de l’homme possédant, suivant les régions, depuis soixante jusqu’à quatre cents de ces canaux par centimètre carré. Dans son nouveau séjour, la larve se développe et s’accroît pendant plusieurs mois et même pendant plusieurs années. Elle atteint quelquefois jusqu’à 4 mètres de longueur ; mais dans les climats brûlans où vit la filaire, la saison sèche est très longue et l’eau très rare. La vie des larves répandues sur le sol serait bien courte et la transmission généralement impossible, s’il n’intervenait chez elles quelque faculté spéciale comme chez l’anguillule de la nielle. C’est en effet ce qui existe : la reviviscence de la filaire a été constatée expérimentalement. La larve, complètement desséchée, se revivifie par l’humidité, et sans doute cette faculté se conserve chez elle pendant plusieurs années. En 1820, Méhémet-Ali fit partir pour le Cordofan une expédition militaire commandée par Mohamed-Bey, defterdar. « Je suivis ce dernier en qualité de médecin particulier, dit le Dr Maruchi, et séjournai trois ans avec lui dans le Cordofan. J’espérais être à même d’observer la filaire de Médine chez nos soldats, mais deux ans s’écoulèrent sans qu’elle se manifestât chez aucun d’eux ; ce ne fut que dans le courant de la troisième année, après des pluies extraordinaires, que je la vis se déclarer, et en si grand nombre que le quart des troupes en fut atteint. J’en fus malheureusement attaqué moi-même sur vingt-huit points du corps… » Cette épidémie, inexplicable alors, trouve aujourd’hui une explication facile. Toutefois, pour que la larve de la filaire puisse s’introduire et se propager chez l’homme, il ne suffit pas de l’humidité ; il faut encore qu’une chaleur tropicale lui donne une certaine énergie, peut-être une certaine maturité, qu’elle ne trouve point dans nos régions tempérées.

La propagation de la trichine s’opère successivement d’une manière active et d’une manière passive. Dans une première période, la période de larve, elle vit dans les muscles des animaux ; dans une seconde période, la période adulte, elle vit dans l’intestin. Comment passe-t-elle des chairs dans l’intestin et de l’intestin dans les chairs ? Avant de l’expliquer, exposons brièvement les faits qui ont permis de résoudre la question.

En 1859, deux savans illustres de l’Allemagne, MM. Leuckart et Virchow, entreprirent, chacun de son côté, d’élucider la question de la propagation de ce ver. Quelques résultats intéressans, obtenus surtout par ce dernier observateur, promettaient une solution prochaine, lorsqu’un fait fortuit vint la donner inopinément. Au mois de janvier 1860, une jeune fille mourut à l’hôpital de Dresde, atteinte d’une maladie qui avait été regardée comme une fièvre typhoïde. Un savant professeur, M. Zenker, cherchant les altérations du système musculaire en rapport avec cette maladie, aperçut, non sans étonnement, dans des portions de muscle soumises au microscope, des trichines en grand nombre, libres parmi les fibres plus ou moins altérées. Dans les organes abdominaux, M. Zenker trouva encore des vers semblables aux trichines, qui cependant différaient de celles-ci par une plus grande taille et par l’existence d’organes génitaux complètement