Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/282

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
278
REVUE DES DEUX MONDES.

In exitu Israël de Ægypto, dit le jeune prêtre de sa voix ensommeillée.

Un apôtre n’aurait pas mieux dit, et n’aurait pas été plus impassible. Pas un muscle n’avait bougé sur ce long, sur ce blanc et béat visage. M. de Bochardière, qui connaissait pourtant son abbé, ne s’en était pas moins flatté que la prédiction de la marquise lui ferait faire une grimace, mais point ; l’abbé regardait sa bague. Il aurait pu réciter jusqu’à la dernière strophe, comme une leçon bien apprise, le terrible chant de l’exil sans en être plus ému que s’il eût dit un Ave. — Morbleu, pensa l’avocat, il souffrirait plutôt mille morts que de faire un pas en avant pour y échapper. Voilà comment on mérite le martyre !

Mme de Croix-de-Vie s’était levée avec impatience ; il lui fallait de l’air. Elle ouvrit une des hautes et larges croisées qui formaient, grâce à l’épaisseur des murs, autant de retraits dans la salle. Debout dans l’embrasure, elle demeura longtemps les yeux fixés sur ce paysage qu’elle n’avait jamais pu aimer.

Toute sa petite et vive et toujours si gracieuse personne était en rumeur et en feu. L’abbé au bois dormant derrière elle et devant ses yeux ces aspects sombres, c’était bien plus qu’il ne fallait pour rallumer le dépit dans cette âme légère. Elle n’aimait pas mieux son neveu de Gourio que le paysage de Croix-de-Vie ; mais du moins, en se moquant de l’abbé, elle se dédommageait de l’ennui qu’il apportait au château. Elle aurait eu beau se moquer des chênes. Oh ! l’âpre et morose nature ! La lune, au plus haut des cieux, versait en vain dans ce moment sa lumière sur le dôme de la forêt. Ailleurs il eût été si doux de regarder fuir dans ces vagues clartés la silhouette amollie des arbres ; mais là les arbres étaient si serrés qu’ils défiaient jusqu’aux rayons du soleil. Pas une ouverture dans la futaie, pas une clairière, pas même un ravin dénudé. Le chêne couvrait la crête et le flanc de la colline et descendait jusqu’au fond de la combe. À peine si les pâles flèches de la lune perçaient de loin en loin ce dur feuillage pour expirer sous bois dans l’herbe jaune. Rien d’animé, rien de vivant, ni la franche lumière du ciel, ni l’air libre, ni les bruits du monde des hommes, rien ne pouvait se faire jour à travers cette ramure infinie, éternelle, ce centuple rempart de branches plus aveugle que le fer et plus sourd que le granit. À moins de trois lieues, il y avait une ville, à deux lieues un bourg populeux, de ci de là des villages, des castels. La marquise soutenait qu’il fallait savoir cela et voir bien plus loin que les feuilles, avec les yeux de la foi, pour le croire. Chaque soir, depuis trente-quatre ans, elle était tentée de faire en se couchant la prière de Robinson dans son île ; chaque