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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

tamer bientôt son patrimoine, à dépouiller ce voile hypocrite de piété, d’honneur et de vertu dont se tenait si bien couverte depuis dix ans son âme frénétique. Et quand son compagnon ou son complice le quittait, il demeurait seul. La pâle figure de la marquise Yolande venait alors s’asseoir près de lui, devant le foyer. « Le mystère de ma mort, lui disait-elle, le connaissez-vous ? » De l’autre côté se dressait l’ombre sanglante de ce jeune duc frappé à Vincennes. « Tu as extirpé l’arbre de ma race, disait-il ; la tienne périra de même, mais lentement, à travers les siècles, dans une succession de douleurs sans nom. » Juste plainte d’une jeunesse impitoyablement tranchée dans les premières joies de la vie, éloquente malédiction bien faite pour arriver jusqu’au ciel ! Voilà où des cœurs superstitieux auraient reconnu la source de la colère divine contre les Croix-de-Vie. La raison de Dieu, ils n’auraient point voulu la chercher ailleurs. — Violante pourtant ne pouvait être superstitieuse, et elle reprit le livre d’une main convulsive. Ce qu’elle voulait, c’était s’éclairer, se convaincre, c’était percer toutes ces obscurités, tous ces détours, pénétrer la pensée de son père sous les artifices de sa plume, qui ne lui semblaient pas innocens, ceux-là. Elle voulait s’assurer s’il n’était pas trompé lui-même par l’ardeur passionnée de son dévouement à ces Croix-de-Vie, dont il avait fait dans ce monde, et presque dans l’autre, ses maîtres et ses dieux, s’il n’était pas le jouet d’une erreur plutôt que l’artisan de tant de feintes. Elle tourna brusquement un nouveau feuillet ; mais quoi ?… rêvait-elle donc ?… Quelques lignes encore, et puis le silence. Le manuscrit n’allait pas plus loin.

« Les gens de bonne foi et de grand cœur, disait-il en finissant, pour qui cet ouvrage a été écrit, comprendront sans peine la réserve que nous avons dû nous imposer en approchant des temps présens. Nous eussions tenu encore à grand honneur de continuer l’histoire des Croix-de-Vie jusqu’à nos jours, mais il ne nous est permis que d’en exposer les élémens en quelques mots. Puissent-ils être repris plus tard par une main plus digne ! Martel II, né en 1710, lieutenant-général et chevalier des ordres du roi, périt glorieusement, comme on sait, après la bataille indécise de Dettingen, le 27 juin 1743, dans un combat isolé qui dut avoir lieu pendant la nuit. Martel III, qui vécut de 1739 à 1772, trouva en pleine paix une mort plus douloureuse. Dieu apparemment sait ce qu’il fait. La Vendée et la France entière connaissent la fin héroïque de Martel IV en 1794. Il était aussi dans sa trente-quatrième année ; il n’avait aussi qu’un fils.

« Et maintenant poursuis tes destinées, ô race de preux !… »

En bas de cette dernière page presque toute blanche, l’avocat