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ques étoiles timides allumant au bord des cieux leurs foyers tremblans, augmentaient encore l’effet de la perspective. Cent fois Violante avait éprouvé le tout-puissant prestige de ce site et de cette vue. D’ordinaire son cœur en était apaisé pour plus d’un jour, il retournait comme de lui-même aux douces, aux fortes et saines influences du passé ; la coupe s’emplissait du miel savoureux des fleurs de l’enfance, et Violante se reconnaissait, et elle se voyait encore immobile, charmée, dans le verger de son aïeule, aux flancs de la montagne, comme autrefois, comme au temps où cette aïeule tant aimée, tant vénérée, se plaignait que sa petite-fille vécût trop retirée, trop fortifiée en elle-même, et lui reprochait d’être trop pensive.

Pensive ! Était-il bien sûr que ce reproche tombât juste ? Parfois il arrivait à Violante de rechercher tout bas si elle avait bien toutes ces pensées qu’on lui supposait : alors elle ne trouvait au fond de son âme que paix, qu’assurance tranquille, que bonheur composé de riens ; qui le savait mieux qu’elle ? Et pourtant tout cela se mêlait si bien et produisait une harmonie intérieure si parfaite et si pure, qu’elle goûtait la plus sérieuse, la plus profonde de toutes les joies à s’en rassasier elle-même, à s’écouter, à se regarder vivre. Que ces temps étaient loin ! que tout cela avait changé depuis ces quatre années si pesantes et si vides qu’elle venait de passer au manoir !… Mais ce cruel changement, jamais Violante ne s’en était mieux aperçue que depuis deux heures, depuis cette sotte, cette stérile, cette redoutable lecture !… Elle retourna vers Bochardière. Il faisait nuit noire. Elle rentra dans sa chambre et ne trouva le sommeil qu’au matin. À peine endormie, elle s’éveilla.

Son premier mouvement fut d’aller tirer les rideaux de ses croisées. La matinée était vivifiante et belle, le ciel clair et l’air sonore ; un bruit de galop retentissait au loin sur la route qui bordait l’autre rive de la Sèvre. Mlle de Bochardière se sentait décidément curieuse depuis la veille ; mais aussi quel événement que des cavaliers sur cette route déserte, à une heure si matinale ! Et quelle occasion de considérer des êtres vivans dans ce triste paysage ! Violante soutenait de son bras nu le poids du rideau,., elle le Laissa retomber tout à coup.

L’aïeule de Mlle de Bochardière autrefois prenait souvent plaisir à frapper sa petite-fille par quelqu’un de ces chocs soudains qui forcent l’âme à sortir de sa retraite, à passer toute frémissante sur le visage ; c’est aux yeux alors qu’elle la regardait. « Qui donc soutient que vos yeux sont durs ? lui disait-elle ; on ne les connaît pas, ma fille. » Cela, en ce moment encore, l’aïeule, si elle eût vécu, si elle avait été présente, aurait pu le dire ; l’œil bleu de Violante s’é-