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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

tait soudain agrandi, il avait pris comme une couleur nouvelle, plus sombre, plus ardente, plus tendre. La jeune fille demeurait là, blottie dans les plis du rideau, stupéfaite, épouvantée la première de l’émotion qu’elle venait de ressentir. On eût pu la voir, au bout d’un instant, répondre intérieurement à la question étrange, impérieuse, qui se posait à son esprit : pourquoi ? elle passa la main sur son front, puis fit un geste d’impatience.

Les deux cavaliers qui venaient de passer sur la route, c’était Martel VI de Croix-de-Vie et son fidèle valet Chesnel. Ils s’acheminaient vers la ville ainsi que le marquis l’avait promis à sa mère. Au même instant, la voiture de M. Lescalopier de Bochardière roula dans la cour du manoir. Violante pensa que son père avait échappé de bien bonne heure à l’hospitalité de sa frivole, hautaine et spirituelle amie, la marquise. Elle jugea qu’il s’était levé avant l’aurore pour avoir l’honneur de faire une partie de la route avec le marquis ; cette idée lui arracha un petit sourire, accompagné d’un mouvement d’épaules. Mlle de Bochardière n’était décidément qu’une libérale, comme disait Mme de Croix-de-Vie.


VII.

M. de Bochardière, ayant longuement médité dans sa voiture sur la conduite qu’il lui convenait de tenir vis-à-vis de sa fille en la revoyant après cette absence de deux jours, suivit d’abord ses résolutions à la lettre, sans s’en écarter d’une ligne. Il poussa tout droit à l’appartement de Violante, qui avait à peine eu le temps de passer une robe du matin, courut à sa fille, lui enveloppa la taille d’un de ses bras et la baisa au front ; mais, quand il fallut parler, le cœur lui manqua, et, trouvant un fauteuil à sa portée, il s’assit. C’est qu’en embrassant Violante il avait encore vu la figure de l’aïeule. La ressemblance des traits et de l’expression était parfaite, sauf pourtant que Violante était sa fille, et que son regard à elle, plus doux enfin, semblait lui dire : Je sais que vous êtes bon, mon père. Prenez garde à tant de petites passions qui vous agitent ; prenez garde à cette soif jamais assouvie d’éclat et de richesses qui vous conseille les choses mauvaises !

— Violante, balbutia-t-il, je vous ai laissée bien longtemps seule au manoir. J’espère que vous n’avez point pris d’inquiétude à cause de moi.

— Je savais que vous étiez à Croix-de-Vie, mon père. M. de Bochardière se leva. Décidément il se trouvait faible et lâche. Eh quoi ! il venait à sa fille les mains toutes pleines de titres, d’or et de grandeurs ; il pouvait faire de cette enfant maussade la