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couronnés de mousses délicates et pendantes. Ils s’épanouissent en grosses branches qui se rejoignent à la voûte, et tous les intervalles des arceaux sont remplis d’un lacis inextricable de feuillages, de sarmens épineux, de petits rameaux enroulés et déroulés qui figurent le dôme aérien d’un grand bois. Comme dans un grand bois, les allées latérales sont presque égales en hauteur à celle du centre, et de tous côtés, à des distances égales, on voit monter autour de soi les colonnades séculaires. C’est vraiment ici la vieille forêt germanique, et comme une réminiscence du bois religieux d’Irmensul. Le jour y tombe transformé par les vitraux verts, jaunes, pourprés, comme à travers les teintes rougissantes et orangées des feuillages d’automne. Certainement voilà une architecture complète comme celle de la Grèce, ayant comme celle de la Grèce sa racine dans les formes végétales. Le Grec prend pour type le tronc de l’arbre coupé, le Germain l’arbre entier avec ses branches et ses feuilles. Peut-être la véritable architecture dérive-t-elle toujours de la nature végétale, et chaque zone a ses édifices comme ses plantes ; de cette façon on comprendrait les architectures orientales, la vague idée du palmier svelte et de son bouquet de feuilles chez les Arabes, la vague idée des végétations colossales, pullulantes, ventrues ou hérissées dans l’Inde. En tout cas, je n’ai jamais vu d’église où l’aspect des forêts septentrionales soit plus sensible, où l’on imagine plus involontairement les longues allées de troncs terminées par une percée de jour, les branches courbées qui se rejoignent par des angles aigus, les dômes de feuillages irréguliers et entrelacés, l’ombre universelle semée de clartés par les feuilles colorées et diaphanes. Parfois un carré de vitraux jaunes où plonge le soleil lance dans l’obscurité son averse de rayons, et un pan de nef resplendit comme une clairière. Une grande rosace au fond du chœur, une fenêtre à rinceaux tordus au-dessus de la porte d’entrée, ruissellent de tons d’améthyste, de rubis, d’émeraudes et de topazes comme ces labyrinthes feuillus où les clartés d’en haut se brisent et s’étalent en illuminations mouvantes. Près de la sacristie, un petit dessus de porte plaqué sur le mur contourne à l’infini ses nervures entrecroisées, semblable au délicat fouillis de quelque merveilleuse plante tortueuse et grimpante. On passerait la journée ici comme dans une forêt, l’esprit aussi calme et aussi rempli, devant des grandeurs aussi solennelles que celles de la nature, devant des caprices aussi mignons, parmi le même mélange de monotonie sublime et de fécondité intarissable, devant des contrastes et des métamorphoses de lumière aussi riches et aussi inattendus. Un rêve mystique avec un sentiment neuf de la nature septentrionale, voilà la source de l’architecture gothique.

Au second regard, on sent bien les exagérations et les disparates.