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le port et la place sont vides, et l’on se sent abrité et reposé par le grand silence.

Au matin, on prend le bateau à vapeur qui fait le tour du lac, et toute la journée, sans fatigue, sans pensée, on nage dans une coupe de lumière. Les bords sont semés de villages blancs, qui viennent poser leurs pieds dans l’eau ; les montagnes descendent doucement, et leur pyramide est peuplée jusqu’à mi-côte ; des oliviers pâles, des mûriers à tête ronde s’échelonnent sur les mamelons ; des maisons de plaisance s’encadrent sous de beaux ombrages, et abaissent leurs terrasses étagées jusqu’à la plage. Vers Bellagio, des myrtes, des citronniers, des parterres de fleurs font des bouquets blancs ou pourprés entre les deux branches azurées du lac ; mais, en s’enfonçant vers le nord, le pays devient grand et sévère ; ses monts se redressent et se pèlent ; les cassures raides du roc primitif, les crêtes dentelées blanches de neige, les longues ravines où dorment de vieilles couches de givre bossellent ou sillonnent de leurs enchevêtremens le dôme uniforme du ciel. Plusieurs hautes montagnes semblent des bastions rangés en cercle ; le lac était jadis un glacier, et le frottement de ses parois a lentement rongé et arrondi les pentes. Dans ces gorges inhospitalières, nulle verdure ou trace de vie ; on cesse de se sentir sur la terre habitée, on est dans le monde minéral, antérieur à l’homme, sur une planète nue où les seuls hôtes sont l’air, la pierre et l’eau : une grande eau, fille des neiges éternelles, autour d’elle une assemblée de montagnes graves qui trempent leurs pieds dans son azur ; par derrière, une seconde rangée de pics blanchis, plus sauvages et plus primitifs encore, comme un cercle supérieur de dieux géans, — tous immobiles et pourtant tous différens, aussi expressifs et aussi variés que des physionomies humaines, mais revêtus d’une chaude teinte veloutée par l’air vaporeux et la distance, pacifiques dans la jouissance de leur magnifique éternité. Le vent était tombé, et le grand luminaire du ciel, au-dessus de l’horizon fermé, flamboyait de toute sa force. Le bleu du lac devenait plus profond ; autour du bateau, des ondulations de velours s’enflaient et s’abaissaient sans cesse, et dans les creux, entre les bandes azurées, le soleil allongeait d’autres bandes mouvantes, comme une soie jaune pailletée d’étincelles.


Côme. — Le Dôme.

On a beau s’être promis qu’on ne verra plus d’œuvres d’art, il y en a partout en Italie, et cette petite ville a une cathédrale si belle !

On n’a pas trouvé un plus heureux mélange de l’italien et du gothique[1], une plus belle simplicité relevée çà et là de fantaisie

  1. Commencée en 1396 ; la façade terminée en 1526.