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somme le progrès moral du peuple anglais est singulièrement accéléré par le soin que prennent les jeunes gens et les hommes faits de se développer en vigueur, en adresse et en courage. C’est vraiment un beau spectacle que celui d’un jeu de cricket sur une pelouse ou d’une joute de vitesse entre deux barques de rameurs. Ces beaux hommes à la taille élancée, aux bras nerveux, au costume souple et facile, qui mettent tant de passion à remporter une victoire honorifique et que suivent de leurs regards, de leurs vœux et de leurs encouragemens des milliers de spectateurs, ne ressemblent-ils pas à ces héros grecs des jeux olympiques dont la postérité célèbre encore la gloire ? Pour égaler en charme poétique les athlètes hellènes, il leur manque seulement un milieu semblable à celui de l’antiquité grecque ; la beauté du paysage, la pureté du ciel azuré, la splendeur des temples de marbre et des statues aux formes divines ne se reflètent pas sur eux, et par-dessus tout ils n’ont pas ce charme puissant que donne le mirage d’un passé de plus de deux mille années. Néanmoins les jeunes athlètes de l’Angleterre ne le cèdent certainement pas à ceux de la Grèce pour le courage, l’endurance, la force de volonté, la passion qu’ils mettent à leur éducation corporelle. Sous la direction de savans professeurs qui les entrainent comme des chevaux de course, ils se soumettent joyeusement à un long régime d’abstinence et de fatigues où tout est calculé pour donner au regard plus de calme, aux muscles plus de force, à la volonté plus d’énergie. Grâce à une pareille éducation, ces hommes apprennent à compter sur eux-mêmes en toute occasion ; ils bravent la maladie, la lassitude et le danger ; ils ne craignent ni le grand air, ni les froidures, ni les chaleurs ; qu’ils restent seuls dans le désert ou sur l’océan, ils n’en gardent pas moins leur inflexible volonté comme une boussole, et tant que leur œuvre n’est pas accomplie, ils ne regrettent ni les parens, ni les amis, ni les grandes cités où la vie est si facile. Ce sont bien là les hommes qu’il faut pour escaler les cimes jadis inaccessibles des Alpes, des Andes ou de l’Himalaya, et conquérir à la géographie les solitudes encore inconnues. On doit seulement leur reprocher le sang-froid brutal avec lequel ils écartent tout ce qui ne vient pas d’eux. Tandis que dans les colonies les squatters pourchassent les indigènes comme des bêtes fauves et finissent par en débarrasser le sol, les voyageurs anglais, aussitôt après avoir découvert un nouveau pays, s’empressent de supprimer les noms poétiques donnés par les habitans et les remplacent par les désignations les plus vulgaires ; grâce à eux, la « cataracte de la Fumée-Tonnante » est devenue la « Chute de Victoria, » et le Perceur du Ciel » s’appelle désormais le « mont Cook. »

Parmi les représentans de l’admirable audace anglo-saxonne, on