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et sur la route qu’il suivait il rencontra Constantin, Constantin le jeune fiancé de trois jours.

« — Bonjour, dit-il, ô vieillard, — où portes-tu tes pas ? — Ah ! abstiens-toi de me le rappeler, ô mon fils. — J’avais un seul fils, Constantin est son nom, — Constantin mon fils ! — Je l’ai vu en rêve pendant trois jours. — L’empereur m’a ordonné de l’envoyer à la guerre. »


Après une répétition homérique des faits racontés au début du chant, le poète ajoute :


« Et sa belle est devenue fiancée, — et elle donnera sa main dimanche. — Je te l’ai dit, ô vieux père, — que dans peu de temps viendra Constantin. — Oh ! puisses-tu avoir, mon fils, pour une si heureuse nouvelle, — des jours longs et heureux ! — Constantin revient le dimanche, — il arrive en ville de bonne heure. — Il laisse là sa giberne, — il se rend à la porte de l’église, — il y plante l’étendard[1]. — Et quoi ? peut-être ne voulez-vous pas, — ô parens, et tous tant que vous êtes, ô bouliars, — de moi pour parrain du mariage ! — Sois le bienvenu, ô jeune étranger, — bon jeune homme sans femme. »


Au moment où Constantin met l’anneau au doigt de « la belle, » celle-ci le reconnaît.


« Et comme des fleurs roses — devint son visage, — et sa poitrine se couvrit de points rouges. — Constantin s’en aperçut et s’écria : — O parens, et vous, bouliars ! — il est arrivé, il est arrivé Constantin, — et il s’empare de la fille. — Que la chose vous plaise ou vous déplaise, — la belle est à moi, — qui ai été son premier fiancé. »


Les luttes de l’empire d’Orient contre les Slaves n’améliorèrent point la situation des Albanais ; mais la nationalité pélasgique, qui avait survécu à tant d’invasions, ne devait pas disparaître davantage devant l’élément serbe. Une partie de l’Albanie alla jusqu’à embrasser le catholicisme pour mieux affirmer la nationalité albanaise en face de la nationalité serbe. Les Turcs n’ont pas plutôt pénétré en Europe qu’ils essaient à leur tour de conquérir cette petite et vaillante Albanie ; longtemps ils sont repoussés : la famille des Balsa, — qui descendait, dit la tradition, d’une famille de la France méridionale, les Baux de Provence, — les familles des Topia et des Castrioti personnifient successivement les phases diverses de cette lutte. C’est la famille des Castrioti qui eut la gloire de voir naître dans son sein le grand Scander-Beg, le héros qui par ses exploits faillit chasser à jamais les Turcs et fonder en Albanie une dynastie véritablement nationale.

George Castriote, à qui l’on donne ordinairement le nom turc du grand Macédonien (Scander, Scander-Beg), méritait beaucoup mieux

  1. Qui précède dans l’Albanie orientale le cortège des noces ; cet usage est à peu près abandonné dans l’Albanie italienne.